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Sacré (James) > Un paradis de poussière

Présentation

> JAMES SACRE / UNE LEGERE MACHINE D’EXISTENCE
Mes notes préparatoires à notre entretien à la Médiathèque de Cergy en 2008

PRESENTATION
James Sacré est né en 1939. Il passe ses jeunes années à la ferme familiale en Vendée. D’abord instituteur, il part, en 1965, vivre aux Etats-Unis où il poursuit des études de lettres (thèse sur la poésie du XVIe siècle français). Il enseigne dans une université du Massachusetts (Smith College) tout en faisant de nombreux séjours en France et en Italie, en Tunisie, au Maroc. Il a publié des livres de poèmes au Seuil, chez Gallimard et aux éditions André Dimanche, ainsi que chez de nombreux “petits éditeurs”. Il vit maintenant à Montpellier.
Les thèmes de ses poèmes viennent souvent de l’hypersensibilité de l’enfance, « quelque chose d’usé et de neuf en même temps. Comme une mémoire. Une mémoire qu’on s’est perdu dedans. » (Si peu de terre, tout). James Sacré aime la matérialité des choses et des mots : rien de divin, mais au contraire ce qui surgit de l’observation humaine des détails du monde, de la nature riche. L’un de ses plus beaux livres est écrit autour du visage de sa fille, emportée par la maladie : « Le mouvement que fait dans la fenêtre tout un feuillage d’arbre / Immobile à des moments, puis soudain / Comme emporté presque pressant, / C’est sans rapport sans doute avec toi qui n’est plus rien mais / Tu aimais t’asseoir aussi devant le monde qui respire. »


EXTRAIT

« Poème te voilà, si peu de mots, des phrases comme
Une musique plutôt que du sens, une musique
Mais pas vraiment, que des mots :
On saurait mal en mesurer les rythmes.
Et soudain des façons poème que tu as
De les précipiter (distrait, ou qui pense à sait-on quoi?)
Peu de bruit nous reste dans l’oreille et tu ne proposes
Aucune mélodie qu’on pourrait connaître par cœur. »

Une petite fille silencieuse, André Dimanche, 2001.


BIBLIOGRAPHIE (choix)

Cœur élégie rouge, Le Seuil, 1972.
Paysage au fusil (cœur) une fontaine, Gallimard, 1976.
Figures qui bougent un peu, Gallimard, 1978.
Quelque chose de mal raconté, André Dimanche, 1981.
Des Pronoms mal transparents, Le Dé bleu, 1982.
Rougigogne, Obsidiane, 1983.
La petite Herbe des mots, Le Dé bleu, 1986.
La Solitude au restaurant, Tarabuste, 1987.
Une Fin d’après-midi à Marrakech, André Dimanche, 1988.
Ecritures courtes, Le Dé bleu, 1992.
Ma guenille, Obsidiane, 1995.
Viens, dit quelqu'un, André Dimanche, 1996.
Si peu de terre, tout, Le Dé bleu, 2000.
Une petite Fille silencieuse, André Dimanche, 2001.
Mouvementé de mots et de couleurs, Le Temps qu’il fait, 2003.
Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t’aime, Cadex, 2006.
Broussaille de prose et de vers où se trouve pris le mot paysage, Obsidiane, 2006.
Aneries pour mal braire, Tarabuste, 2006.
Un Paradis de poussière, André Dimanche, 2007.


SUR L’ECRITURE DE JAMES SACRE

VOTRE APPROCHE MATERIELLE DES MOTS : « pas vraiment pour les apprivoiser, mais pour les approcher un peu, à l’occasion les caresser, pour les entendre mieux, et parfois, je l’ai cru, mettre la main dedans. La main plutôt que les yeux parce qu’en général on n’y voit pas tellement clair dans les mots. »

« J’ai plutôt une vision picturale de l’écriture. La peinture m’a fait comprendre que l’écriture d’un livre de poèmes ou même d’un seul poème, c’est un peu comme travailler sur une toile : prendre les différents motifs de sens, d’images, de sonorités qu’il y a dans le langage que j’emploie et les disposer sous forme d’un poème. Le poème répond à quelques règles : on le lit du début vers la fin, mais justement j’aimerais, comme dans un tableau, qu’on puisse commencer n’importe où. »

« Les mots je les voudrais / Avec un sens facile / A comprendre dans ce poème. » Ce n’est pas un désir de simplicité, mais plutôt un désir de lisibilité.



Geste parlé


Je voudrais m’en aller dans un poème

Pour être comme à côté du corps

De quelqu’un d’autre, un corps

Où la parole ne trahit pas le silence.

Mais le poème est trop de ruse et rien

Qu’on pourrait caresser.


« N'importe quoi le mot rouge : toute la vie dedans 
colères comme des taureaux, bêtise de mon père le
 voilà maintenant tranquille fin de sa vie je la veux 
comme un sourire la honte et la peur emportées, saleté 
comme un sourire en paille dans ses bottes; et je 
l'aime aussi quand il est propre. Le mot rouge
 (fureur et la rouille à des endroits du monde) convient parfaitement pour tout dire… »
James Sacré, « Si le mot rouge est vrai », Ecritures courtes, Le Dé bleu.


« Une ancienne cour que l'enfance a fermée
 Si t'ouvres le portail
 Quelques mots reviendront, pas grand-chose.
 La couleur d'autrefois c'est pareil qu'aujourd'hui, presque :
 De la tôle toute neuve, mais quand même
 Encore du vieux bois qui pourrit.
Un mur s'est éboulé 
C'est comme des mots (mais tombés d'où ?) 
La douceur du ciel continue son bleu
 On dirait qu'on peut rêver 
A travers les choses défaites, les trous du poème. »
James Sacré, « La petite herbe des mots », Si peu de terre, tout, Le Dé bleu, 2000.



Présentation
James Sacré est né en 1939. Il passe son enfance et son adolescence à la ferme des parents en Vendée. D’abord instituteur puis instituteur itinérant agricole, il part, en 1965, vivre aux Etats-Unis où il poursuit des études de lettres (thèse sur la poésie de la fin du XVIè siècle français). Il y enseigne dans une université du Massachusetts (Smith College) tout en faisant de nombreux séjours en France et des voyages en Europe (l'Italie surtout) en Tunisie et au Maroc. Il a publié des livres de poèmes au Seuil (Coeur élégie rouge, 1972), chez Gallimard (Figures qui bougent un peu, 1978) et aux éditions André dimanche, ainsi que chez de nombreux “petits éditeurs”. Il vit de nouveau en France, à Montpellier, depuis 2001.

James Sacré- extrait de Ecritures courtes
" N'importe quoi le mot rouge : toute la vie dedans
colères comme des taureaux, bêtise de mon père le
voilà maintenant tranquille fin de sa vie je la veux
comme un sourire la honte et la peur emportées, saleté
comme un sourire en paille dans ses bottes; et je
l'aime aussi quand il est propre. Le mot rouge
(fureur et la rouille à des endroits du monde) con-
vient parfaitement pour tout dire"
James Sacré. extrait du poème Si le mot rouge est vrai dans Ecritures courtes, éditions le dé bleu, page 10

James Sacré- extrait de La petite herbe des mots
"On peut croire qu'un souvenir
Creuse la couleur du mot bleu, à force
Il en reste plus rien, du bleu ;
Et du souvenir pas plus.
Qu'est-ce qu'on raconte ?"
"Une ancienne cour que l'enfance a fermée
Si t'ouvres le portail
Quelques mots reviendront, pas grand-chose.
La couleur d'autrefois c'est pareil qu'aujourd'hui, presque :
De la tôle toute neuve, mais quand même
Encore du vieux bois qui pourrit."
"Un mur s'est éboulé
C'est comme des mots (mais tombés d'où ?)
La douceur du ciel continue son bleu
On dirait qu'on peut rêver
A travers les choses défaites, les trous du poème."
James Sacré, La petite herbe des mots (1986), Si peu de terre, tout – éd. Le Dé bleu (2000), p. 27, 28 et 31.

James Sacré- extrait de Les mots longtemps, qu'est-ce que le poème attend ?
Le bonheur aussitôt dans l'ombre ça brille tilleul
toit rouge ça brille avec des jeux d'enfant poète avec des 
billes des mots j'attends silence au loin billes perdues
rien dans le mot bonheur mais dans le vide le sentiment
qui persiste dans la lumière centre fleuri d'un arbre fleuri
en rond c'est comme les visages que j'aime.

----------------------------------

bonheur il brille
l'ombre un poème avec des billes
le vide et le sentiment souriants

-----------------------------------
Aussitôt le bonheur est là dans l'ombre il brille
Il grimpe au tilleul sur le toit rouge il brille
Avec des jeux d'enfant poète avec des billes
Avec des mots j'attends la rime
Au loin silence il perd ses billes et rien
Dans un alexandrin le mot bonheur qui brille (mais
 dans le vide et le sentiment qui persiste de ma 
 pauvreté je vois dans la lumière et dans le
 centre d'un arbre fleuri en rond les visages
 souriants que j'aime).

James Sacré, dans Les mots longtemps, qu'est-ce que le poème attend ?, Editions Tarabuste, page 58
James Sacré - extrait de Si peu de terre, tout

LA NUIT POUR ECRIRE
La nuit est là comment venue ?
N'a pas couru, elle respire léger;
On a peur on a plaisir.
Tout l'monde l'attend
Pour s'endormir, ou mieux faire quelque chose. 

Quelqu'un s'en va retrouver à la nuit un vieux chemin qui va jusqu'à l'odeur d'un lavoir abandonné; du foin pas coupé dans les prés.
Faire l'amour à la nuit devient un grand moment de silence et de noir tranquille dans les arbres.
C'est que la nuit. Mais tant d'espace juste au bord des maisons remplies de lumière et
fermées.

J'attends la nuit, mais pas pour oublier, je vais pouvoir penser n'importe comment à tout.

James Sacré dans Si peu de terre, tout, éditions le dé bleu, page 17

James Sacré sur internet

James Sacré, Une boulange de lyrisme critique, un article sur le site de JM Maulpoix
James Sacré, Broussaille de prose et de vers (extrait) sur Remue.net
La fiche de l'auteur sur le site du printemps des poètes
Une note de lecture sur Le recueil écrire à côté par Alain Jean André
Des poèmes sur Francopolis

Bibliographie
Relation. Bordeaux : N.C.J., 1965.
La femme et le violoncelle. Lamérac : J.C. Valin éditeur, 1966 (avec un dessin de Pierre Bugeant).
« Graminées », Poésie-Ecrire. Paris : Le Seuil, 1968 (collectif) ; repris dans Les mots longtemps..., Tarabuste, 2004
La transparence du pronom elle. Paris : Chambelland, 1970 (tirage de tête avec des eaux-fortes d’Yvon Vey).
Cœur élégie rouge. Paris : Le Seuil, 1972 ; et Marseille : André Dimanche, 2001.
Comme un poème encore. Liège : Atelier de l'agneau, 1975 (avec des dessins d’Yvon Vey) ; repris dans La poésie, comment dire?
Paysage au fusil (cœur) une fontaine. Paris : Gallimard, Cahier de poésie 2 (collectif), 1976 ; et Tours : La Cécilia, 1991 ; repris dans Les mots longtemps..., Tarabuste, 2004.
Un brabant double avec des voiles. Paris : Nane Stern, 1977 ; repris dans Les mots longtemps..., Tarabuste, 2004.
Un sang maniériste. Etude structurale autour du mot sang dans la poésie lyrique française de la fin du seizième siècle. Neuchâtel : La Baconnière, 1977.
Figures qui bougent un peu. Paris : Gallimard, 1978.
L'amour mine de rien. Paris : Encre/Recherches, 1980 (collectif).
Quelque chose de mal raconté. Marseille : André Dimanche, 1981.
Des pronoms mal transparents. Chaillé-sous-les-Ormeaux : Le dé bleu, 1982.
Rougigogne. Paris : Obsidiane, 1983 (tirage de tête avec un dessin d’Yvon Vey).
Ancrits. Losne : Thierry Bouchard, 1983 (tirage de tête avec des eaux-fortes de Patrice Vermeille).
Ecrire pour t'aimer ; à S.B.. Marseille : André Dimanche, 1984.
Bocaux, bonbonnes, carafes et bouteilles (comme). Paris : Le Castor astral et Le Noroît, 1986 (avec des photographies de Bernard Abadie) ; repris dans Les mots longtemps..., Tarabuste, 2004.
La petite herbe des mots. Chaillé-sous-les-Ormeaux : Le dé bleu, 1986 ; repris dans Si peu de terre, tout.
La solitude au restaurant. St. Benoît-du-Sault : Tarabuste, 1987 (tirage de tête avec des travaux de Thierry-Loïc Boussard) ; repris dans Ecrire à côté.
Une fin d'après-midi à Marrakech. Marseille : André Dimanche, 1988.
Un oiseau dessiné, sans titre. Et des mots. St. Benoît-du-Sault : Tarabuste, 1988 (avec un dessin de Jillali Echarradi) ; repris dans La nuit vient dans les yeux, Tarabuste, 1997.
Le taureau, la rose, un poème. Montpellier : Cadex, 1990 (avec des dessins de Denise Guilbert).
Je ne prévois jamais ce que je fais quand je dessine. Paris : Les petits classiques du grand pirate, 1990 (avec des dessins de Jillali Echarradi) ; repris dans La nuit vient dans les yeux, Tarabuste, 1997.
Comme en disant c'est rien, c'est rien. St. Benoît-du-Sault : Tarabuste, 1991 (avec des dessins de Jillali Echarradi) ; repris dans La nuit vient dans les yeux, Tarabuste, 1997.
On regarde un âne. St. Benoît-du-Sault : Tarabuste, 1992 (avec une photographie d’Abderrazak Benchaabane).
Ecritures courtes. Chaillé-sous-les-Ormeaux : Le dé bleu, 1992.
La poésie, comment dire?. Marseille : André Dimanche, 1993.
Des animaux plus ou moins familiers?. Marseille : André Dimanche, 1993.
Le renard est un mot qui ruse. St. Benoît-du-Sault : Tarabuste, 1994 (avec un dessin de Jillali Echarradi) ; repris dans La nuit vient dans les yeux, Tarabuste, 1997.
Ma guenille. Sens : Obsidiane, 1995.
Viens, dit quelqu'un. Marseille : André Dimanche, 1996.
Essais de courts poèmes. Toulouse : Cahiers de l’Atelier, 1996 (avec des dessins de François Mezzapelle).
La nuit vient dans les Yeux. St. Benoît-du-Sault : Tarabuste, 1997 (avec des dessins de Jillali Echarradi).
La peinture du poème s’en va. St. Benoît-du-Sault : Tarabuste, 1998.
Anacoluptères. St. Benoît-du-Sault : Tarabuste, 1998 (avec des illustrations de Pierre-Yves Gervais).
Relation, essai de deuxième ancrit (1962-63 ; 1996). Saint-Denis d’Oléron : Océanes, 1999.
Labrego coma (cinco veces). Saint-Jacques de Compostelle : Noitarenga, 1999 (avec des photographies d’Emilio Arauxo).
Si peu de terre, tout. Chaillé-sous-les-Ormeaux : Le dé bleu, 2000.
L’Amérique un peu. Montréal : Trait-d’union, 2000, 77 pages.
Ecrire à côté. Saint-Benoît-du-Sault : Editions Tarabuste, 2000, 140 pages
Une petite fille silencieuse. Marseille : André Dimanche, 2001
Monsieur l’évêque avec ou sans mitre. Chaillé-sous-les-ormeaux : Le dé bleu, 2002 (avec des illustrations de Edwin Apps).
Mouvementé de mots et de couleurs. Cognac : Le temps qu’il fait, 2003 (avec des photographies de Lorand Gaspar).
Les mots longtemps, qu’est-ce que le poème attend ?. Saint-Benoît-du-Sault : Tarabuste, 2004.
Sans doute qu'un titre est dans le poème (Wigwam, 2004)
Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui dire je t'aime (Cadex, 2006)

Broussaille de prose et de vers où se trouve pris le mot paysage (Obsidiane, 2006)

Aneries pour mal braire (Tarabuste, 2006)

Un paradis de poussières (André Dimanche, à paraître


La Poéthèque

Poète

poète James Sacré

biographie Né le 17 mai 1939. Enfance et adolescence à la ferme des parents en Vendée. Instituteur, puis instituteur itinérant agricole. Vit aux Etats-Unis à partir de 1965.
Thèse sur la poésie de la fin du XVIè siècle français. Enseignant dans une université américaine du Massachusetts (Smith College). Nombreux séjours en France et voyages en Europe (l'Italie surtout) et au Maroc. Des livres de poèmes au Seuil, chez Gallimard et aux éditions André Dimanche, ainsi que chez de nombreux "petits éditeurs".
Vit à nouveau en France, à Montpellier, depuis 2001.

nouveautés Khalil El Ghrib

quelques parutions Le poème n'y a vu que des mots
Aneries pour mal braire
Trois anciens poèmes mis ensemble pour lui redire je t'aime

bibliographie Derniers livres publiés
Mouvementé de mots et de couleurs éd. Le Temps qu'il fait, avec des photographies de Lorand Gaspar, 2003
Les mots longtemps, qu'est-ce que le poème attend ? éd. Tarabuste, 2003
Une petite fille silencieuse éd. André Dimanche, 2001
Coeur élégie rouge réédition, André Dimanche, 2001
Ecrire à côté éd. Tarabuste, 2000
Si peu de terre, tout éd. Le Dé Bleu, 2000
Monsieur l'évêque avec ou sans mitre éd. Le Dé Bleu, 2002

extrait Poème te voilà, si peu de mots, des phrases comme
Une musique plutôt que du sens, une musique
Mais pas vraiment, que des mots :
On saurait mal en mesurer les rythmes.
Et soudain des façons poème que tu as
De les précipiter (distrait, ou qui pense à sait-on quoi?)
Peu de bruit nous reste dans l’oreille et tu ne proposes
Aucune mélodie qu’on pourrait connaître par cœur.

extrait de Une petite fille silencieuse, André Dimanche éditeur, 2001


James Sacré
Une boulange de lyrisme critique par Jean-Michel MAULPOIX
« Lyrisme critique » dans le début de la question, « poésie et pensée » plus loin, puis célébration « se renversant en puissance d'examen ». Comme si la première formulation, en ses deux mots fortement liés, « lyrisme critique », se défaisait malgré tout en éléments quand même antagonistes. « Lyrisme critique » : formule d'un désir... mais peut-être d'un impossible désir ? Et comme si le « chant » néanmoins ( le lyrisme, donc) pouvait se faire entendre encore en ses « retournements » d'examen et de pensée critique... Est-ce que j'ai bien entendu la question ?

***

Sans doute que je ne suis pas bien préparé à penser cette question. Mais enfin je prétends écrire (poème ou pas, lyrisme ou pas). Écrire, vainement ou avec quelque succès (ce qui prouverait quoi ? ), mais écrire. Comment donc est-ce que je m'arrange (mais je ne peux prétendre engager les autres avec mes raisonnements) de ce qu'est mon peu de pensée critique en mon écriture ?

***

Si le lyrisme est une célébration, une adhésion au monde, à des sentiments, à la matérialité d'un langage, on imagine en effet mal, a priori, qu'il puisse introduire en son élan un mouvement qui serait comme un doute ; à moins que cette interrogation sur soi lui permette de se mieux comprendre, puis d'affirmer plus fortement encore, après, l'élan de célébration. Mais cette opposition entre critique et célébration lyrique n'est-elle pas une fausse vue de l'esprit ? Car le désir de critique n'est-il pas encore une manifestation de lyrisme, même lorsqu'il éloigne dans la plus grande distance (et c'est toujours dans une sorte de passion de dire et de prouver), non plus seulement l'objet de célébration, mais la possibilité même de cette célébration ?
Je le crois, l'irruption de la critique dans une écriture lyrique n'empêche en rien le lyrisme, et le nourrit plutôt, tout comme une pensée de la négativité peut sauvegarder en un horizon toujours repoussé plus loin la vague idée d'un dieu.
Une critique lyrique donc. Au meilleur sens du terme lyrique souvent (passion, concepts qui sont aussi la sensibilité, inquiétude et désir) ; mais une critique qui peut rejoindre aussi, parfois, les lyrismes les plus éculés, s'installant dans une sorte de sentiment intellectuel confortable que d'aucuns s'empressent de proclamer moderne, en une, somme toute, pas si surprenante auto-célébration.

***

Mais aussi, comment parler de lyrisme critique si je ne sais pas ce que j'entends par le mot « lyrisme » ?
Le lyrisme : affaire d'intériorité (convaincue, inquiète ou joueuse) qui s'emmêle infiniment au monde, au langage, à de grandes questions sans fond ou à des futilités ; affaires de formes dont on ne sait plus s'il faut les abandonner (pour quoi d'autre qui serait enfin &emdash; fût-ce momentanément &emdash; la vraie forme ? )ou les pétrir encore (pour un pain de poésie qui pourrait quoi sauver ?)
Et cela se ferait par un « chant » ... mais ce chant n'est que le bruit du poème : tout un ensemble hétéroclite d'éléments (bien mal saisissables, malgré le bel acharnement des critiques à vouloir les définir et les comprendre en des agencements toujours à la fin vainement construits ). Un bruit, semble-t-il, où l'ordre et le désordre se relancent l'un l'autre en des réseaux de rythmes, à tous les niveaux du langage ; dans de multiples rapports avec le monde et soi-même, où brillent et s'effacent, tour à tour, des effets de sens, des illusions de plaisir et des inconforts, en une surprenante figure de vie et de mots semblable à cette autre banale figure que nous sommes, pétrie de mort et de vie.
Voilà, je crois, ce qu'est le lyrisme pour moi ... ne pourrait-on pas se contenter de parler d'un plaisir ou d'un tourment d'écrire ? D'écrire ça qu'on appelle des poèmes. Des poèmes qui forcément se donnent à lire en de multiples apparitions de formalismes divers. Ces formalismes (les pires et les meilleurs, et qui sont toujours expérience et vécu) étant la matière où l'écriture s'égare (croyant parfois se trouver) entre insignifiance (délires par exemple du lyrisme) dont on ne saura rien dire, et nouvel idéalisme (conséquence d'un mouvement critique) aussitôt qu'un précédent se trouve dénoncé.

***

Et puis on pouvait se demander s'il est possible d'introduire dans un poème lyrique une dimension critique sans faire usage de pensée conceptuelle ? Il me semble bien que oui, et par ailleurs je ne vois pas pourquoi la pensée conceptuelle ne serait pas susceptible d'être matériau de poésie.
Il me semble bien que oui parce que la critique peut en effet se dire aussi par gestes, par le faire. Quand mon père trouvait que je savais pas bien me débrouiller pour me servir d'une fourche pour nettoyer les vaches par exemple, je n'avais droit à aucune explication : il me la prenait des mains et me la montrait. Autant j'avais laissé paraître ma maladresse et ma naïveté laborieuse dans ma façon de travailler, autant dans la sienne il me proposait une modification possible de mes gestes pour que le travail soit , pas tellement finalement mieux fait, mais fait autrement, plus vite peut-être, selon un autre rythme, ou dans un enchaînement plus souple et solide des gestes. N'était-ce pas déjà, là au cul des vaches, une bonne leçon de poétique ? Profitant de sa démonstration, j'ai fini par avoir mes propres façons de faire (qui, en somme, critiquaient à leur tour la sienne).
Un poème n'est-il pas toujours une façon de dire ? Singulière, ou communautaire parfois. N'est-il pas toujours une façon de dire autrement ? Légèrement ou radicalement autrement (bien qu'on puisse aussi imaginer des poèmes qui se voueraient au vertige d'une parfaite imitation de ce qui a été auparavant lu). Et dans cette façon de dire il y a non seulement des gestes critiques de ce qui a précédé, mais aussi, dans les manières de se chercher, ou de s'interroger, une critique de ce qu'on est en train d'écrire : une incessante proposition (à l'insu parfois &emdash; et toujours aussi semble-t-il &emdash; de celui qui écrit) de nouvelles formes-vie de l'écriture.
Il n'est probablement pas possible « d'écrire » sans montrer dans le même temps la possibilité d'un art poétique (et l'on peut s'aventurer à dire à ce sujet que les poèmes des Regrets de Du Bellay se sont révélés plus riches d'enseignement, d'incitations à écrire, et encore aujourd'hui, que sa Défense et Illustration de la langue française. Et s'il fallait donner un exemple fort d'œuvre lyrique qui porte en elle une comme infinie force critique, il suffirait de penser à celle de Rimbaud (dans ses façons de dire justement, et celles de dire, en particulier, des éléments de pensée conceptuelle qui sont aussi, à cause de la forme, avec elle, encore un matériau lyriquement travaillé, une boulange de lyrisme critique, dans ses poèmes).



1
J’ai le désir d’écrire dans la vérité et je crois pourtant savoir que tout se joue dans le malentendu ou l’à peu près quand un lecteur se prend à mes paroles pour s’en faire une rêverie (donner quelque forme à ses sentiments du moment) qui permet à son corps d’être à l’aise ou agréablement remué, son corps avec de la pensée et une aptitude à ressentir la présence du monde. Tout cela. Bon.
Je sais aussi, j’en fais l’expérience dès que j’aligne trois mots, que le plus vrai dans ce que j’écris c’est en fait ce mensonge qui se montre non seulement dans les maniements formels de la langue, mais dans toute la matière de celle-ci, dès que j’entends l’écrire, c’est à dire la versifier ou la proser. Cette fausseté (et laisse-t-elle vraiment paraître au moins cela, qu’elle est fausse ?) n’est-ce pas elle qui constitue la trame de ce que serait mon style ? Le style comme ce qu’il y a de plus faux dans une écriture ? Et de plus vrai, dans la mesure où c’est pas possible d’écrire autrement qu’empêtré dans le mensonge.
Mon style : ça devient peu à peu ma vraie façon de mentir, mais encore faudrait-il pouvoir lui garder une fraîcheur de mensonge ou que reste agréablement dosées, ou proposées de façon surprenante, sa part de mensonge rusé et celle de mensonge naïf. Le mieux étant peut-être de n’y pas penser (en tout cas pas trop) quand justement on se mêle d’écrire.
Un jour maman n’a pas voulu que je lise certains passages de Rougigogne, parce que c’était devant des gens de Saint-Hilaire que j’allais faire cette lecture, que j’exagérais disait-elle à propos de phrases parlant de mon père, et que la tante Marie par exemple n’a jamais filé au rouet dans cette maison de Cougoulet, où je la vois faire pourtant, ni la grand-mère Norine, j’ai dû rêver, oui, c’est bien ça, je raconte que des choses rêvées sans doute mais d’où me sont venus ces rêves ? Est-ce que vraiment j’ai besoin d’avoir une grand-tante un peu folle qui faisait de longues marches à pied pour venir nous voir ? J’imaginais presque que c’est à pied qu’elle venait de Paris jusqu’à Cougou… elle ne faisait qu’y passer, pourquoi se serait-elle en effet arrêtée pour se mettre au rouet, son manchon de fourrure un instant posé sur la table de la chambre, la voilà partie jusque dans le marais à Bouillé, passant par chez d’autres amis à La Couture, de quoi est-ce que je me souviens et quelle vérité qui s’envole en paroles et figures inventées ? Mais j’ai bien dit en écrivant Rougigogne que je sais pas raconter des histoires, ça tourne toujours trop court, je finis par dire, si pas vraiment des mensonges, des inventions de rien du tout 
Alors que papa fait revivre tout le village dans sa voix, je l’entends encore, l’impression que c’était tellement vrai, mais ma mère lui dit pareil, et pareil à mon frère : t’aus exagère toujours.
2
Comme il est possible de faire en espagnol j’aurais dû sans doute commencer toute mon activité d’écriture par un point d’interrogation renversé. Je mettrais à la fin (mais comment savoir que ça va être la fin?) le point debout qui laisserait la question finalement posée. Ne pas savoir quand ça va être la fin ça n’est pas si mal: on n’aurait fait qu’entreprendre de poser une question; et puis sait-on quelle est cette question qui nous préoccupe?
Mais j’ai trop souvent affirmé ceci ou cela, des sentiments, des arrangements de mots... et même quand le motif de l’interrogation, sous de multiples formes, s’est de plus en plus mêlé à la matière de mes poèmes, je n’en continuais pas moins d’affirmer un désir d’écrire et d’en proposer sans guère hésiter le résultat à des éditeurs, sinon directement à d’éventuels lecteurs. Et aujourd’hui encore. Faut-il croire qu’aucune vraie question n’est jamais posée parce que le fait même de vouloir en poser une est toujours une affirmation? J’aimerais pouvoir penser qu’à l’inverse une affirmation porte toujours en elle un questionnement, soit sur elle même, soit sur ce dont elle parle, mais je n’arrive pas vraiment à penser cela. Et si c’était le cas, dans le moment où je me saisirais enfin de cette question qui me serait en quelque sorte tendue à mon insu par ma propre écriture, je la perdrais aussitôt en nouvelle affirmation, etc. On ne peut peut-être pas poser de question sinon dans l’illusion qu’on a de le faire; on ne peut qu’affirmer tout en espérant que c’est aussi questionner, et en acceptant de ne pas le savoir.
Et ce désir d’un questionnement? Sans doute à cause de l’intolérance qu’il y a dans toute affirmation. Sans doute aussi à cause de mauvaises raisons: se donner tel rôle, s’affirmer en somme autrement que font les autres comme si on savait mieux, etc. Quelle misère!
3
On ne perçoit donc que ce léger déplacement d’une question dans le curieux souci de mettre en forme un poème (comme si ç’allait être le côtoiement d’une réponse). On ne fait que mettre en forme la question. Est-elle restée la même, voit-on même si elle s’est déplacée ? Cette idée de son déplacement ne m’est-elle pas donnée par le fait de bouger mon corps et ses alentours, toujours en leur inextricable emmêlement, dans le monde ?
En somme je finirai par dire que le poème est une machine qui me sert à voir que je tourne en rond dans mes propres questions. Des questions émerveillées ou inquiètes. Et le poème ne les pose pas mieux que n’importe quel paysage ni moins intensément que mon corps étonné. 
Des savants répondent à toute cette opacité du monde, par des explications qui semblent y éveiller des potentialités qu’ils ne soupçonnaient pas tout d’abord : on a l’impression à cause de leurs travaux et de leur intelligence d’une continuelle extension de ce monde (pourrait-on pas se demander cependant si ce n’est pas le monde lui-même qui se rejoue, visible autrement du coup, en leurs méninges et capacités manuelles (ça ne serait que juste de joindre aux savants le tisserand et le potier, entre autres) ? Les gens d’action eux, leur histoire après coup nous le montre bien, ne sont que des jouets prétentieux de ce monde et leurs gestes grandiloquents ne font qu’en aviver le noir et la clarté. Les sages et les saints (ceux qui ne se croient ni sages ni saints) finissent peut-être par vivre comme des arbres fragiles (ou comme de rudes cailloux) dans le paysage.
Et puis ces autres gens qui écrivent, ou qui peignent, qui font des musiques… touchent-ils vraiment le monde avec leur corps, mais sans pour autant s’y perdre dans un grand contentement de vie ? A cause d’une question sans réponse qui leur reste en travers de ce qu’ils sont?


Ecrire à côté, James Sacré, éditions Tarabuste, 13,72 €
lecture d'Alain Jean-André
De livre en livre, James Sacré reprend, avec sa phrase savamment hésitante, le même monologue envoûtant et plein de charme. Et le lecteur retrouve un ton, une petite musique qui lui parle toujours de « quelque chose de mal raconté »;. Dans Ecrire à côté, on passe d'un bistrot de Bruxelles à des petits « restau » d'Aix-en-Provence, Paris, Las Vegas, Phoenix, etc, des lieux presque vides qui lui permettent de toucher « avec sa rêverie l'épaisseur du feuillage ».
Prime d'emblée un certain mal être « sans doute que justement je suis mal accompagné / avec ma solitude et l'espèce de lassitude qui me vient... ». Mais rien de triste dans ce constat : il le fait avec douceur, simplicité, sans un mot plus haut que l'autre. Et, quand il marche dans les rues d'Aix, ou d'autres villes, il laisse poindre des bribes d'un passé peut-être douloureux (« Je pense à comment j'ai mal connu mon père, j'aurais voulu / être avec lui dans la parole et le jeu de la vie / et moins dans la colère ») voire nostalgique (« la cuisine bonne femme d'antan / ramène des souvenirs d'avoir mangé à la campagne avec ses parents »)
Dans la poésie d'aujourd'hui, James Sacré rappelle un musicien qui entonne des mélodies prenantes avec des variations sans fin : il écrit des phrases bancales, plus ou moins inachevées, floues, transformant la grammaire usuelle en une grammaire poétique, la sienne. Il donne aussi, dans une partie du livre, différents états d'un texte rédigé à partir de planches peintes par Arezki Aoun, qui n'ont rien de brouillons, mais signent une démarche contemporaine.
Aussi, on se demande s'il faut entièrement croire des remarques comme celle-ci : « Mon poème perdu quelque peu je sais pas / je sais pas trop ce que je voudrais dire à propos d'Aix-en-Provence et du mélange de ses habitants ». Car il a su suggérer, avec des touches délicates, une réalité méditerranéenne complexe qu'il a directement perçu. Surtout, il a déployé avec une grande virtuosité une écriture dans laquelle « le rien et la vérité se lient ».


Sacré James
né le 17 mai 1939. Enfance et adolescence à la ferme de ses parents en Vendée. Instituteur puis instituteur itinérant agricole. Vit aux Etats-Unis à partir de 1965. Thèse sur la poésie française de la fin du seizième siècle. Enseignant dans une université du Massachusetts (Smith College). Nombreux séjours en France et des voyages en Europe (l'Italie surtout) et au Maroc. Vit aujourd'hui à Montpellier.
 Geste parlé
 Si les mots rencontrent ?



Geste parlé


Geste parlé


Comprendre et pas continue





Dans l'intérieur de ton corps (où sont mêlés
tes sentiments et le désir d'être vivant)

Je ne peux rien voir.

Mais sur ton visage, et dans la calligraphie de ton nom,

Ton coeur (ou quelque autre muscle obscur)

Est-il mieux donné?

Comme on donne la main,

Ou des mots qu'on pourrait comprendre?



Mais quelle intensité qui persiste

Si je pense à ton nom par exemple plutôt qu’à ton
corps,

Au plus léger souvenir, à demain?



Comme un museau boutant,

Sans doute rien plus, un grognement

De plaisir pas content

A cause que c’est pas vrai ou que les mots mal venant.



Ce qu’on entend

C’est comme de la bêtise incongrue

Qui veut se montrer nue.



Une bêtise qu’a couru

Dans tous les mots de plusieurs livres. Est-ce qu’on pourra pas

Lui faire un coin, qu’elle se repose enfin, léchant

Son poil bourru?



J’essaie de rien inventer, ni les gestes vrais, ni ceux que j’ai
rêvés. Il n’y a pas que l’histoire obscure de nos corps
entre nous. De la simplicité, de la peur. C’est rien de si
particulier; sans doute que tout le monde aussi (et n’importe qui
avec son seul et propre corps). J’essaie de rien inventer. C’est
l’intensité que je voudrais m’expliquer. Les autres me disent
pas tellement. Toi non plus.



Ce que nous parlons se perd aussi

Dans le bruit d’être ensemble et pas:

Rumeur de souvenirs et demain qu’on sait pas.

Parole qu’on est bien dedans, pourtant.



Ce qu’on parle et ce qu’on écrit

Dans l’en allée du temps.



Que même si tu parles de choses défaites

Ou que si rien d’arrangé bien, paradis

De poussière que tu dis (ton poème

En allé par grands cris de colère

Ou façons de mal écrire)

Ca sera quand même

De la mesure et des mots choisis:



Le monde qui s’effrite (as-tu peur?)

Semble donner toujours

Du sens à ce qu’on parle.



Je voudrais m’en aller dans un poème

Pour être comme à côté du corps

De quelqu’un d’autre, un corps

Où la parole ne trahit pas le silence.

Mais le poème est trop de ruse et rien

Qu’on pourrait caresser.



Quelqu'un, d'autres gens,

Un pays qu'on a couru;

On s'est mal et bien connus.

En même temps qu’on n'en dit rien,

Si le poème nous continue?



Alors que du beau temps, la douceur

D’une campagne parmi les bois, des collines,

Quelques voix qu’on entend, tranquilles,

Une sorte de solitude est là

A cause que je sais mal trouver des mots

Qui seraient comme de mettre ensemble

Cette caresse d’un paysage avec un visage au loin, j’ai l’impression

De bêtement faire un grand geste inutile

Dans la beauté du monde.



A cause qu'on a pensé à quelqu'un

Dans le plus nu de la nuit,

De la vérité saisit le corps et la pensée :

Mais des mots qui restent muets.



On croit les entendre à nouveau dans un livre qu’on écrit,

Ou dans une conversation qu'on a, dans une musique:

C'est vivre et n'être plus rien,

De l'intimité mêlée

A l'éternité de chacun, des mots

Qu'on n'aura pas prononcés.

Quelqu'un.



A des moments mon corps

Devient davantage un corps, autant

Pour mieux te dire que pour

T’entendre plus en entier.



Mon corps et le tien, sans quoi

Rien de vivant, ni sentiments ni pensée,

Ni cette énigme du désir (ce qu’il est, et d’où
venu?)



Le corps qui maintient

De l’inquiétude et du bonheur, contre la mort.



Je m’essaye à comprendre où se noue

Entre un indéniable désir d’être avec ton corps
(comme par exemple quand tu pisses là pas loin contre un arbre)
et le simple fait de penser à ton visage, à ton nom,
à des choses de l’enfance que tu as dite… à comprendre

Où se noue ce qui me tient content dans le bruit de ton nom.



Il y a eu ce moment où je ne pensais plus rien:

J'étais mon corps sans savoir ce qu'était mon corps.

Quelqu'un d'autre tenait; les mots qu'il a dits:

La tête contre la tête. Et ses mains comme

Si de la nuit serrée, dans la proximité.

Je ne sais pas ce qui m'était donné

Ou retiré. Ni ce que fut mon corps

En son mélange de muscles et d'écriture

Pour ce quelqu'un qui l'a tenu

Dans la plus amicale mesure.




Si les mots rencontrent?


Si les mots rencontrent ?



1

Je te donne des mots pour que tu parles, ou le contraire.

De ta phrase à la mienne qu’est-ce qui sera tu ?

Ou qu’aura-t-on dit qu’on entend mal ?

En quoi le cœur fait-il confiance ?





2

Des sentiments qui me viennent

A cause que tu es vivant.

Je ne veux pas les brider.

Je sais dans quel encombrant désir ils se tiennent,

Passant par nos corps et le fait

De notre existence.



Ma plus fine et fruste vérité.





3

Les sentiments (les plus forts) qui se prennent à notre corps,
à nos façons de penser,

On n'arrive pas à comprendre.

Si j'imagine que c'est à cause d'une singularité de ta
parole, de quelques gestes qu'on a eus ensemble,

Cela n'explique rien vraiment.

Et toi, si tu comprendras mieux, pensant que c’est à cause

D'une façon d'être ou d'un accueil dans mon poème?



Rencontre:

Et le temps reste silencieux.





4

Quelqu’un pourrait dire (l’as-tu pas pensé?)

Que c’est un banal désir du corps

Qui soutient ce mot redit souvent, l’amitié.

Sans doute. L’émotion du corps,

Et qu’il en faut pas parler? Plutôt

C’est qu’on en sait rien dire. Mais c’est là

L’inquiétude ou l’emportement, être content,

Ca qu’on mesure ou pas

Dans ce corps, autant

Que dans nos pensées: l’amitié.





5

Quelqu’un, d’autres gens,

Un pays qu’on a couru ;

On s’est mal et bien connu.

En même temps qu’on n’en dit rien,

Si le poème nous continue ?





6

Le peu qu’est notre amitié,

Quelques gestes, des paroles sans importance.

On n’entend rien. C’est peut-être là.


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