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Delsarte (François) > Le pouvoir expressif du geste
La Denishawn School

Présentation

> François DELSARTE (1811-1871) 

Chanteur, professeur et théoricien français, il développa le pouvoir expressif du geste. Mais sa voix subit une altération irréparable qu'il imputera aux aberrations de la pédagogie officielle. Au terme d'un intense travail de dix-huit mois, il se redonne une voix dont le placement recoupe une technique italienne qui fera la gloire du ténor Gilbert Duprez sur la scène de l'Opéra : la voix sombrée (voix sourde, grave ou voilée). Mais Delsarte va surtout se consacrer à l'enseignement.

"Le vif intérêt que les Américains portent aux techniques de la parole confère aux enseignements de Delsarte un lustre inattendu, voire insolite. Les professionnels de l'élocution y voient le moyen d'obtenir une parfaite adéquation entre le message à transmettre et l'attitude physique correspondante. Les idées de Delsarte trouveront aussi un écho surprenant dans le mouvement de Dress Reform, qui luttera pour que les femmes soient affranchies de lourdes toilettes, funestes pour le corps qu'elles confinent, et pour l'être dont elles entravent l'expression naturelle." (Alain Porte)
Delsarte influencera Ruth Saint-Denis et Ted Shawn, figures de l'histoire de la danse moderne américaine. De leur école, la Denishawn School, sortiront Martha Graham, Doris Humphrey et Charles Weidmann. Le nom de Delsarte apparaît à l'arrière-plan de tout ce qui, au XXe siècle, bouge et s'exprime. On le découvre dans le sillage d'Isadora Duncan, de Stanislavski, de Laban, voire de l'Actor's Studio.

Delsarte était convaincu qu'il existait des lois fondamentales régissant toute forme, toute manifestation ; il s'est attaché à mettre en corrélation un geste et sa signification. Sa vision reposait sur une trinité dont les trois pôles en l'homme physique étaient la vie, l'âme et l'esprit. Appliquée au corps, cette trinité attribuait aux membres l'expression de la vie, au torse, celle de l'âme, et à la tête, celle de l'esprit. À partir de là pouvaient s'ensuivre des démultiplications méticuleuses de cette trinité initiale, toute partie du corps présentant trois valeurs : vitale, animique et mentale. Cette investigation méthodique associait un mouvement et un sens, dans une sorte d'inventaire exhaustif de l'atlas organique.
"L'homme est une trinité de personnes qui, au moyen d'un triple appareil, se révèle par une trinité de langages ayant pour critérium un triple accord de neuvième."

Voir Ted Shawn, Chaque petit mouvement. A propos de François Delsarte

> L'individu transformé par le mouvement : la culture psycho-physique"
par Annie Suquet
"Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les Etats-Unis sont aux prises avec la seconde révolution industrielle. Le pays connaît alors une accélération sans précédent des procédés de rationalisation technologique appliqués aux conditions de vie et de travail. Entraînés dans un processus d''hypercivilisation', les individus se perçoivent comme coupés de leurs ressources physiques et spirituelles, d'où le sentiment d'une dégénérescence tant personnelle que sociale. Aussi les propositions pour recréer les conditions d'une 'expérience authentique' se multiplient-elles: communautés 'Arts and Crafts' prônant le retour à la terre et au travail manuel, thérapies en tous genres à partir des années 1880. Nombre de systèmes d'éducation physique ou expressive se développent : méthodes de Dudley A. Sargent ou William G. Anderson, de Dioclesian Lewis ou Oskar Guttman, gymnastique suédoise, yoga… A cela, il faut encore ajouter l'explosion, à partir des années 1870, des mouvements ésotériques. Dans le même temps, la culture puritaine perd de sa force de contrôle. Son cadre doctrinal s'adoucit. Selon T. J. Jackson Lears, l'exaltation de la notion 'd'expérience authentique comme fin en soi' accélère la transition d'une 'éthique protestante du salut par la dénégation de soi, à un idéal thérapeutique de la plénitude personnelle, à accomplir ici-bas par la recherche de la santé et de l'intensité de l'expérience'. Cette nouvelle orientation culturelle, polarisée par la question du développement de l'individu, apparaît également dans les projets des éducateurs progressistes tels John Dewey (1859-1952) ou G. Stanley Hall (1844-1924). L'espoir d'une société meilleure est placé dans le sillage de la croissance personnelle et de la 'créativité', entendue au sens d'une capacité d'auto-expression. Tout un pan du protestantisme de la fin du XIXe siècle tend à acclimater, selon des dosages variés, ces aspirations d'harmonie individuelle et sociale. Ces transformations culturelles provoquent d'importants changements dans la théorie et la pédagogie de l'éducation physique. Le delsartisme n'en est pas l'origine, mais l'un des facteurs. Vers 1880 s'opère le passage d'une conception militariste de l'entraînement corporel à une vision plus thérapeutique, axée sur la correspondance entre santé physique et psychique et mettant en valeur l'idée d'une transformation globale et positive de l'individu par le mouvement."