Un peu de théorie

Un peu de théorie

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Lecture créatrice

Présentation

Mais où allons-nous trouver de vrais lecteurs ? Il faudra les former, se dit George Steiner, qui caresse la vision « d’écoles de lecture créatrice. » Les ateliers d’écriture semblent répondre à ses vœux.
En étudiant les mécanismes de l’écriture les participants aux ateliers deviennent très vite aptes à juger les bons auteurs, et, partant, à choisir leurs lectures avec plus de sûreté. Avant l’atelier, ils lisaient peut-être comme Ambroise, silencieux, avec les yeux, comme des persécutés requis de ne manifester aucune émotion mais de réciter intérieurement leur prière muette, le visage baissé, respirant par le nez. L’atelier accroît et consolide la lecture, il en fait une activité physique et vivante. Les mains lisent, l’oreille lit, la voix lit, l’œil lit et le corps tout entier, avec ses fièvres et ses sécrétions, et ses lèvres qui s’ouvrent sur l’haleine.
La lecture de la main, celle de l’annotation marginale, Georges Steiner l’appelle « lecture dynamique ». Du XVIe au XIXe siècle, il était courant de recopier de longs pans de livres pour améliorer son style, engranger des exemples tout prêts et, surtout, de couvrir l’ouvrage de notes marginales qui finissaient d’ailleurs par le dissimuler en partie, comme le tampon sur le timbre qu’il oblitère.
L’atelier ravive cette lecture dynamique. Les photocopies de textes de participants circulent, ou bien on écrit sur ordinateur et l’imprimante fournit à chacun des lecteurs dynamiques un texte identique, tout frais, qu’il conviendra de critiquer de la voix et du geste pour l’amener à une sorte d’aboutissement. Cette expérience, je l’ai appelée le suivi d’écrit. Désormais muni d’un feutre rouge ou d’un crayon de papier, chacun appartient au texte. D’abord les virgules, les points, et les temps des verbes, l’orthographe bien sûr. Puis la main s’engage plus profondément et l’auteur assis là subit un feu de questions, de vraies secousses. Il dit : « Non, c’est vrai, je ne sais pas ce que j’ai voulu dire là. » Et tout le monde s’aperçoit, comme à chaque séance, avec la même stupéfaction, qu’un texte est pour son auteur une nuit vivante, une crise qui a brûlé, qui s’est épanché et dont le souvenir de la création a déjà disparu. Autour de l’auteur amnésique, les lecteurs annotateurs forment une chaîne, des relais curieux et parfois indiscrets mais encourageants parce qu’ils soulignent, à côté des énormités, les éclairs et les saccades, les failles par où ils ont vu se dessiner, fugace comme une tortue rentrant soudain sa tête, la menace d’une histoire.
« Une lecture bien faite, dit Charles Péguy, cité par George Steiner, n’est pas moins que le vrai, que le véritable et même et surtout que le réel achèvement du texte, que le réel achèvement de l’œuvre ; comme un couronnement, comme une grâce particulière et coronale. Elle est aussi littéralement une coopération, une collaboration intime, intérieure aussi, une haute, une suprême et singulière, une déconcertante responsabilité… »