Billets du lever

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C'est propre, la tragédie

Présentation

J'ai remis un manuscrit à mon éditrice, un roman achevé dans la deuxième semaine de ce janvier. J'ai peur parce qu'il est tragique, au sens de Jean-Pierre Vernant, c'est-à-dire que Sven le tennisman est à la fois lucide et aveugle, coupable et innocent, agent et agi. Je l'ai senti tout de suite tragique, et je n'ai rien pu faire contre. Je n'ai pas eu envie d'aller contre. Je doutais justement de certains de mes livres précédents, avec leur jolie fin, avec leurs vertus. Et puis j'ai relu On achève bien les chevaux, de Horace Mc Coy. Enfin un vrai livre ai-je pensé, absolument noir, d'une vérité folle, d'un pessimisme parfait, je voudrais écrire quelque chose de pareil, qui ne soit pas un drame bourgeois, sans fin édifiante, comme peut-être certains de mes livres. Je n'ai pas encore la réponse de mon éditeur. Ai-je réellement écrit une tragédie ? Une chose est ce que dit l'artiste, qui est si souvent à côté de la plaque ; une autre est la manière dont cela est perçu par la suite. Je ne confonds pas la tragédie et le roman noir, mais je suppose que ce manuscrit tient des deux car pour une fois je n'ai rien sublimé. Les choses sont comme elles sont. Clément Rosset le dit dans son Principe de cruauté : le réel ne contient pas, en lui-même, de quoi le comprendre. Il est simplement là. Inintelligible et persistant. Ai-je écrit quelque chose qui tient compte du réel ? 
Je me soutiens avec ceci, à l'instant découvert, qui me parle de ce manuscrit : « C'est propre la tragédie. C'est reposant, c'est sûr [...]. Dans le drame, on se débat parce qu'on espère en sortir. C'est ignoble, c'est utilitaire. Là, c'est gratuit. C'est pour les rois. Et il n'y a plus rien à tenter, enfin ! » (Anouilh, Antigone).

31 janvier 2012