Aux éditions de Rivières

Aux éditions de Rivières

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Petit taureau
Petit taureau
aux éditions de Rivières

Date de parution : 2008
Peintures originales de Bernard Alligand
Présentation

Petit taureau - Texte inédit de Régine Detambel, peintures originales de Bernard Alligand
Edition originale tirée à 18 exemplaires. Tous les livres sont signés au colophon par l'auteur et l'artiste. Format 18,5 x 18 cm, 2 triples cahiers, 4 originaux.
Edition de Rivières, octobre 2008.
 
Un tableau éclairé par un vitrail
Le livre nu et reproductible de l’écrivain s’écrit avec des images, des collages, des gravures, des oeuvres de toutes sortes, des tableaux, avec des souvenirs de tableaux. Pour donner à la fin cette chose noire et blanche, l’écrivain pense avec des images, des livres, des films, des tableaux, des musiques, on pense tout ce qui vous arrive avec tout ce qui vous est arrivé, on pense le monde et la vie avec ce qu’on a sous les yeux pour l’organiser.
Et j’ai pensé quelquefois avec Bernard Alligand, j’ai pensé avec quelques-unes de ses œuvres, avec ces objets finis et infinis, fabriqués par un homme. J’ai pensé avec les œuvres de Bernard Alligand que j’ai rencontrées.
De plus, nous avons quelques livres ensemble : des ouvrages très concrets, palpables, tangibles, présents, pas du tout discrets. Ecrire sans laisser de trace (écran versus papier) est d’une perfection toute chinoise... et je me passionne pour l’art, très concret lui aussi, de l’imprimeur, de la typographie, dont Valéry rend compte dans quelques pages intitulées Les deux vertus d'un livre : "L’esprit de l’écrivain se regarde au miroir que lui livre la presse. Si le papier et l’encre se conviennent, si la lettre est d’un bel œil, si la composition est soignée, la justification exquisement proportionnée, la feuille bien tirée, l’auteur ressent nouvellement son langage et son style. (...) Il croit entendre une voix bien plus nette et plus ferme que la sienne, une voix implacablement pure articuler ses paroles, détacher dangereusement tous ses mots. Tout ce qu’il écrivit de faible, de mol, d’arbitraire, d’inélégant parle trop clair et trop haut. C’est un jugement très précieux et très redoutable que d’être magnifiquement imprimé".
Mais il y a plus redoutable encore que la presse selon Valéry, il y a l’art d’un autre. Et rencontrer son propre texte manuscrit dans les couleurs et les formes d’un autre, voilà qui est positivement redoutable. Intellectuellement, on peut fort bien douter de l’effet produit, on peut supposer que les arts s’annulent, on peut estimer qu’un écrivain rencontrant un peintre sur la même page se télescopent ou se mutilent ou encore se brouillent l’un l’autre. On l’a dit parfois à propos de l’opéra, quand les compositeurs estiment que le texte altère la pureté de leur construction musicale, tandis que les poètes, eux, trouvent que la musique brouille la compréhension du texte, et l'on finit par aboutir, suivant la formule de Valéry, à un tableau éclairé par un vitrail.
Ce n’est certainement pas mon avis, car j’aime particulièrement l’idée d’un tableau éclairé par un vitrail, c’est d’un métissage extrême !
Et quand Alligand dit « bibliophilie », j’entends « bibliothérapie »… Il sauve des livres, et nous avec, nous sauve du désastre virtuel, du désastre du papier-torchon, du désastre de l’absence d’enveloppe et de peau papier. Du coup, je regarde « nos » titres, colorés, épais de peau et rudimentaires, comme un trésor, une somme, tout est là, voici ma fortune, unique, érotique et bestiale.
Je sais, tout le monde le sait, que le livre ne va pas bien. Mais quand mon écriture manuscrite se mêle à l’énergie d’un Alligand bien décidé à poursuivre son exercice de liberté, je sens que ce tableau-vitrail peut me permettre la reconquête d’incroyables espaces. Espaces immatériels, en soi, le coin des braconniers, bien à l’abri des transparences, technocratique et autres.

Régine Detambel ©