Un peu de théorie

Un peu de théorie

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On n’écrit qu’avec un miroir

Présentation

Speculum

On n’écrit qu’avec un miroir. Léonard de Vinci inversait sa calligraphie, on la décryptait en y penchant une glace. Dans les Cahiers, Valéry a hissé la spécularité au rang de genre littéraire : « Montre dans la même phrase (le même récit) son reflet, sa réponse, son néant, ses fondements. » De plus, les manuscrits valéryens sont couverts de dessins représentant une main tenant ou non un crayon. On pense aussi à Monsieur Teste (« Je suis étant, et me voyant ; me voyant me voir, et ainsi de suite… ») et à La jeune Parque (« Et dans mes doux liens à mon sang suspendue / Je me voyais me voir, sinueuse… »). André Gide, lui, se regardait écrire dans un complaisant miroir, qui lui donnait forme et souffle : « … dans la double glace de mon secrétaire, au-dessus de la tablette où j’écrivais, je me voyais écrire ; entre chaque phrase je me regardais ; mon image me parlait, m’écoutait, me tenait compagnie, me maintenait en état de ferveur. »
Pascal, dans la nuit du 23 novembre 1654, subit le grand désistement, qui préfigurera L’Apologie. Il a rencontré l’Ami le plus haut, Jésus, le Céleste. Depuis il portera toujours sur lui deux papiers, l’un encré probablement au cours de cette fameuse nuit, l’autre un parchemin recopié du premier et l’enveloppant. « Certitude, certitude, sentiment, joie, paix… ». Ces papiers sont cousus dans la doublure de son habit. Pascal y a signé une promesse : oubli du monde et de tout hormis Dieu. Il a changé de vie. Il achèvera le dessein de mettre en ordre dans un livre les pensées que Dieu lui a données pour combattre les athées. Sûr désormais d’avoir un appui non humain, il n’a plus besoin de personne sur terre pour se maintenir. Ce qui, après Dieu, provoque l’enthousiasme : les calculs entrepris durant la journée, qui entraînent les rêves et l’esprit les déchiffre alors au matin avec une parfaite continuité. Les chiffres s’assortissent des songes et donnent de quoi œuvrer à un esprit qui va se révéler. Mais il est inutile maintenant de recenser ce qui était susceptible d’entraîner l’esprit, de produire l’étincelle. Après la nuit du 23 novembre, Pascal possède la force active unique. La Foi est un don de Dieu, ne croyez pas que c’est un don du raisonnement. Chaque jour, il cherche l’excès, le soudain mouvement de l’âme, un point comme le tison de feu, entasse les écrits, pêle-mêle, peu importe Dieu composera l’oeuvre : « J’écrirai ici mes pensées sans ordre et non pas peut-être dans une confusion sans dessein. C’est le véritable ordre et qui marquera toujours mon objet par le désordre même. »