Un peu de théorie

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Varloper

Présentation

Varloper

« Il faut nettoyer son style, commande Antoine Albalat, le vanner, le cribler, le passer au tamis, lui ôter la paille, le clarifier, le pétrir, le durcir, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de copeaux au bois, jusqu’à ce que la fonte soit sans bavure, et qu’on ait rejeté toutes les scories du métal. » Mais les mots, pour quoi les prend-il ? Des bouts de bois sans doute, des carcasses, des troncs pleins de parasites, du fer de forge, des blocs de granit, des échafaudages rouillés et amoncelés à la casse ? Beaucoup d’écrivains aiment se dire artisans, précisément ébénistes, et s’imaginent, rabotant, varlopant jusqu’au matin, humant la chair du bois, lui travaillant le cœur au ciseau, sciure dans les yeux et jusque dans les cheveux, et construisant une table quand ils font un livre.
Je ne crois pas que l’écriture soit un artisanat qui nécessite en permanence cette sorte d’outils de fer violents, pointus, dentés ou aiguisés.
Albalat, en alchimiste coléreux qui enjoindrait de « nettoyer son style » par le fer et par le feu, à coups de verbes d’action, tous empruntés aux diverses industries et technologies humaines qui transforment la matière, a quelque chose de ce sultan, des réflexes de vieux soldat qui frappe de taille et pense qu’on obtient toujours, par la force ou le laminoir, la forme que l’on veut. Mais l’écriture ne consiste ni à écorcer ni à écorcher. « Les métiers qui taillent, qui coupent, avance Bachelard, ne donnent pas sur la matière une instruction assez intime ». Si on le veut à tout prix artisan, alors l’écrivain est, à la rigueur, modéliste ou potier. Ecrire c’est modeler, déformer, rêver en tenant devant soi, sans gants, à bout de bras, les yeux fermés, un matériau à la fois amorphe et terriblement rebelle, à la fois organisé comme un flocon et farouchement anarchique.

Au travail coupant, pointu et barbelé, je préfère ce qui s’empaume et même ce qui se mange et se baratte à la langue. Les guêpes maçonnes, je crois, sculptent avec leur salive et certaines religieuses confectionnent de petites statuettes en papier qu’elles mâchent. Enfin, j’appelle à mon secours les expressions populaires. On conseille de laisser mûrir une œuvre, de lui donner le temps de lever. Une œuvre à écrire serait donc plutôt une pâte à modeler et à cuire pour la rendre moins vulnérable ou plus comestible. Et je préférerais franchement, si je ne peux pas mieux faire en toute ma vie, plutôt que polir une table de fonte, avoir modelé l’un de ces petits hippopotames d’argile peinte en bleu.