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Stendhal et l'eau du thé
Régine Detambel
Stendhal et l'eau du thé
Quand Stendhal découvrit Montpellier...

Date : 2011
Présentation

Stendhal et l’eau du thé

Régine Detambel ©

Pour Stendhal, la vie est voyage ; mais on découvre bien vite que son amour pour le « tourisme » (anglicisme qu’il a introduit dans notre vocabulaire) comprend trop exclusivement l'Italie. Ce Sud rêvé vient dès lors s’interposer cruellement entre l’observateur objectif qu’il se pique d’être et ce qu’il décrit. Voici donc un surprenant aperçu de son séjour éclair à Montpellier, fin avril 1837.
Le voyage et la passion dominent l'expérience et l'œuvre de Stendhal. Pour lui, la vie est voyage, et, plus encore, le voyage représente la vérité de la vie, dans un contact imprévu et neuf avec une réalité toujours différente, qui sans cesse construit et reconstruit le moi. Dans ses journaux, Stendhal voulait écrire « le monde », en recueillant non pas l’Histoire, mais la poussière de l’époque, dans des traits de moeurs, des comportements, psychologiques mais aussi sociaux. Son oeuvre nomade devait rendre compte de lui-même et, chemin faisant, de l’homme. Mais cet amour pour le « tourisme » (Stendhal a introduit cet anglicisme dans notre vocabulaire) comprend trop exclusivement l'Italie où il a découvert le bonheur de vivre, un bonheur d’esthète, propre au Sud violent et sensuel, parfaite antithèse d’un Nord industriel et technique, dont les tout jeunes Etats-Unis sont les affreux confins. Ce Midi intérieur, Sud romantique rêvé, vient dès lors s’interposer cruellement entre l’observateur objectif qu’il se pique d’être et les « sensations » qu’il décrit. Car au fond, le rêve de Stendhal serait que la France devienne l’Italie.
L’arrivée du diariste à Montpellier, à la fin d’avril 1837, est une épreuve de dégoût : « Toutes ces villes de l’intérieur de la France se ressemblent ; même impolitesse, même barbarie. (…) La bêtise des provinciaux est chose incroyable ». On le loge dans une auberge de la Grand-Rue. Le lendemain, « je suis sorti pour chercher un café passable ; je n’ai trouvé que des pharmacies ». L’obsession enfle encore : « Je suis allé demander une demi-tasse de café dans des cafés vraiment incroyables. Dans la suite, je me suis aperçu qu’il n’y a point de café passable à Montpellier ». Il demande alors de l’eau chaude pour le thé qu’il a toujours dans sa poche. « Quand on veut être matériellement bien, il ne faut pas quitter le boulevard (…). Je me suis livré à des travaux d’Hercule pour avoir de l’eau chaude, mais je n’ai pu réussir ; j’ai pris du thé à l’eau tiède par ce froid ». Vexé, il dénigre tout. Au Musée Fabre, les tableaux brillent sous une couche épaisse de vernis et sont placés beaucoup trop haut. « Au milieu de toutes ces affectations provinciales, l’âme est rafraîchie par la vue de tableaux italiens et par le feuillage d’un grand arbre non taillé ». Un peu d’Italie thérapeutique, s’il vous plaît…
Après que Stendhal aura pris place dans la diligence qui roule vers Nîmes, il faudra attendre cent ans pour que s’opère un décentrement, pour que le voyageur ose s’aventurer hors du boulevard, tout à la joie de boire froid, et c’est dans ce Nord exécré que se lèveront les vrais anthropologues, les Margaret Mead, les Ruth Benedict, pour une remise en question méthodique de l’ethnocentrisme, afin que la température de l’eau devienne elle-même richesse symbolique et source inépuisable de curiosité, tant il est vrai que le voyage imaginaire consiste à savoir s’oublier.
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Paru en septembre 2011 dans la revue Patrimoines en région N°14 - Le patrimoine est un voyage.