Billets du lever

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Paul Valéry en chaman

Présentation

Paul Valéry en chaman

« L’inspiration est l’hypothèse qui réduit l’auteur au rôle d’un observateur » ricane Paul Valéry. Il est contre l’idée même d’inspiration, il déteste les Pythies, il répugne à l’idée d’être inspiré des dieux, c’est-à-dire d’être un simple tuyau, une paille vide et stupide dans laquelle ils souffleraient : « C’est leur servir de flageolet. Et le devoir d’un esprit noble serait de ne pas vouloir de cet emploi, de refuser des dons qui enflent le donataire, lequel s’en désenfle en faveur des tiers et se retrouve aussi sot que devant, dans sa gloire usurpée. » Valéry déteste être possédé. Si j’en crois La Musique et la Transe, essai de Gilbert Rouget que je viens tout juste d’entamer, et si je joue des analogies, Valéry serait donc le musicien parfait, car, je cite Rouget, « les musiciens n'entrent en principe pas en transe. Ce serait en effet incompatible avec leur fonction, qui est de fournir des heures durant et plusieurs jours de suite une musique dont l'exécution doit sans cesse s'adapter aux circonstances. Il importe qu'ils soient toujours disponibles et au service du rituel. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il est fréquent que les musiciens ne soient pas eux-mêmes des adeptes. N'ayant jamais été possédés, il n'est pas à craindre qu'ils entrent en transe. Paradoxalement donc, ces musiciens, qui apparaissent comme les piliers des séances de possession et sans lesquels il n'y aurait pas de danse de possession concevable, sont en quelque sorte extérieurs au culte. Ils occupent en tout cas une place à part. Comme les officiants et en collaboration avec eux, ils contrôlent la possession des adeptes et contribuent à la susciter, particulièrement celle des néophytes, mais, contrairement aux officiants, ils n'en ont jamais eu l'expérience vécue. »
Tout cela me fait vraiment penser à Valéry : être un pilier, être extérieur au culte, contrôler. Valéry aimait par-dessus tout contrôler. Et quand j’entame le chapitre dédié au chamanisme, cette fois le portrait est parfait. Car Rouget dit bien que le chaman est tout à fait spécial, « à la fois musiquant et musiqué, c’est lui qui crée la musique qui va l’inspirer. Le chaman est le musiquant de sa propre entrée en transe. Ce n'est pas en écoutant les autres chanter ou tambouriner pour lui, mais au contraire en chantant et en tambourinant lui-même qu'il entre en transe. »
Valéry en chaman, ne supportant d’être musiqué que par lui-même, cela me convainc tout à fait. Je vais d’ailleurs relire Les Pas comme son voyage initiatique dans la steppe toungouse.

5 novembre 2011