Billets du lever

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La phrase est une dynamo

Présentation

La phrase est une dynamo

Ce Guyotat-là me touche aux larmes : « Le drame, au sens théâtral, de l’artiste, c’est qu’il tire de lui-même sa matière, et il tire, il tire jusqu’au jour où il se peut qu’il n’y ait plus rien, et il le sait et il le craint tous les jours. C’est d’une certaine façon, là aussi, un rêve, un désir très fort de disparaître par extinction de matière, extinction de lumière.»
Et pourtant je ne partage plus cette vision de l’écrivain-pélican, viscéralement romantique, dévidant comme une pelote ses douze mètres d’entrailles, assistant à l’épuisement de son filon de photons, se voyant comme un trésor, une somme, tout est là, voici ma fortune, et elle s’épuise, peau de chagrin, à mesure que j’y mets la main à plume, hémorragique. Je v(o)is plutôt l’écriture comme une marche qui jouerait le rôle d’une dynamo. Tout se passe comme si la perte d’énergie engendrée par le fait d’une phrase était équilibrée par la dépense d’énergie mise à produire une autre phrase. Curieux bilan, et pourtant on comprend bien, me semble-t-il, comment dans l’action un pas contre-balance le pas suivant. Énergie pendulaire, qui se régénère dans la répétition symétrique. Boustrophédon. Une ligne en équilibre une autre. La ligne de dessous équilibre celle du dessus. La course épuise, le sur-place lamine, la faction use ; mais la phrase marchée (s’)auto-entretient. A une condition, toutefois : qu’elle aille à son rythme. Les soldats le savent : le pas cadencé ne peut durer que le temps d’un défilé militaire ! Mais quand elle se coule dans le moule instinctif de la personnalité du marcheur décidé à poursuivre son chemin, la marche-phrase, la phrase marchée, permet la conquête d’incroyables espaces. Espaces territoriaux. Et autres espaces immatériels.