Billets du lever

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Le romanesque de la guérison

Kinésithérapeute et écrivain, Régine Detambel regrette que la littérature ne s'intéresse pas davantage à la guérison des corps.
> Régine Detambel sera au Forum «Le corps, quel engin !» organisé par Libération au Corum de Montpellier, les 8 et 9 novembre. Plus d’informations ici.

"J’ai longtemps fréquenté les hôpitaux comme auxiliaire médicale. J’y suis souvent retournée par l’écriture. Un hôpital est une grosse machine cliquetant comme un Tinguely, une entreprise pleine de mouvements et de bruits, de circuits électriques, de pompes, de lumières, de matériaux radioactifs, avec du plâtre, des clous, des vis... L’hôpital est aussi vivant et bruyant qu’un chantier d’autoroute.

Dans mon roman Son corps extrême (Actes Sud, 2011), je rappelle que le corps, comme acteur et comme œuvre, ne devrait pas être exclusivement réservé aux plasticiens et aux performeurs. Un patient polytraumatisé, se remodelant, s’exhibe en pleine performance, dans un authentique art du corps.

On a traité de la cicatrice en littérature. De la cicatrice comme d’un événement plastique, d’un tatouage individualisant, d’un énoncé hideux. Mais il me semble que l’on n’a presque jamais parlé de la cicatrisation comme processus, de l’immense capacité romanesque de notre pouvoir de cicatrisation (une charpente de réparation est ingénieusement, irréversiblement lancée d’un bord à l’autre de la plaie), ni d’ailleurs de notre faculté de consolidation (régénération du tissu osseux après une fracture).

En cela, j’ai toujours trouvé que la littérature était très en retard, trop, sur les arts plastiques.

LA GUÉRISON EST UNE CONSTRUCTION
Un hôpital est un chantier organique. Tous les corps qui y sont allongés, apparemment passifs, bâtissent, fondent, sécrètent des choses invraisemblables, architecturales, esthétiques ou non, dans les expériences positives très profondes et très fortes de la cicatrisation, la consolidation, la musculation… La guérison est une construction. Une dynamique puissante.

Ce qui occupe le patient, l’ouvrier de son propre chantier, le «guérissant» à l’œuvre, est essentiellement la bataille physique, profonde, intime. Au fond des plaies qui n’ont pourtant l’air, vues de l’extérieur, que d’un inextricable fouillis, c’est l’entrain et la révolution. Les cellules sécrètent du collagène, les vaisseaux bourgeonnent puis s’unissent pour former des arches qui s’allongent et prolifèrent, les os fabriquent des cals, ça valse, ça lutte, ça phagocyte, ça se divise et ça se reproduit à tire-larigot, et tout ce populo est bien résolu à former un corps à nouveau digne de ce nom. Des transformations silencieuses. Croire en la passivité d’un malade est un affront.

L’hôpital, comme le monastère ou la prison, est par excellence le lieu de la métamorphose physique et morale, de la crise, de la prise de conscience : telle est la mission de l’alitement forcé, faire qu’on s’arrête et qu’on regarde mieux en soi-même. Pour l’écrivain comme pour son personnage, il arrive qu’un tel séjour apparaisse soudain comme une nécessité inévitable, absolument pas au sens médical mais dans un sens existentiel."