Billets du lever

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Vivisection des Sirènes

Présentation

Vivisection des Sirènes

Les animaux fabuleux disparaissent quand on commence à les disséquer. Pour cette raison, le dragon, la sirène et la licorne n’ont pas passé pas le seuil des Universités.
À son tour, la fabuleuse énigme de la radio est en train de disparaître. Car ce qui faisait la radio, c’était la voix acousmatique, cette voix dont on ne peut voir la source, dont l’origine n’est pas identifiée et qu’on ne peut pas situer. Cette voix qui restituait dans toute son étrangeté l’enseignement ancien — et peut-être légendaire — d’un Pythagore dissimulé derrière un rideau noir pour parler à ses disciples sidérés de la ruse même de la scène qui transforme le philosophe en pur esprit. Mais le magicien ne peut ensorceler que s’il reste une voix dont la source est cachée. Le magicien d’Oz, une fois le voile levé, est un vieillard impuissant et ridicule.

Il paraît qu’on veut en finir avec les propriétés acousmatiques de la voix. La voix de la mère est la voix acousmatique par définition. La mère de toutes les voix acousmatiques est précisément la voix de la mère, cette voix dont l’enfant ne peut pas voir la source, qui est sa prison, sa lumière. Ce vieux mystère ne semble plus goûté. France Culture Papiers, en croyant pouvoir se passer du grain de la voix, fait la démonstration du rôle de repoussoir que tenait l’écrit en général pour le philosophe grec classique, quand les langues étaient faites pour être parlées, l’écriture ne servant que de supplément à la parole, de résidus, de reste... L’écriture n’était que la représentation de la parole, sa retranscription servile. Tandis que la parole était reine.
France Culture Papiers, je continuerai à l’acheter, même si j’ai trouvé certains de ces écrits considérablement vides, simples coquilles, et leur lecture laborieuse sans le support dynamique de la voix qui les proférait, il leur manque l’humidité et la chaleur de la salive. Ça manque de corps, voilà. Ça n’est pas ça, l’écriture. On n’écrit pas comme on parle. Et un écrivain perd beaucoup à causer. J’en reparlerai !

Fin du miracle acousmatique : on se voit même quand on se téléphone, alors que tout le mystère du désir de la conversation téléphonique résidait justement dans l’absence du corps. Le Navire Night de Duras s’était emparé du sujet. J’en avais parlé aussi, dans La chambre d’écho (Seuil, 2001).
On est vu, même à la radio.
Après avoir longtemps pesé le pour et le contre, je viens de renvoyer à France Musique mon autorisation d'être filmée pendant l'entretien que j’aurai en direct le 18 avril 2012, avec Christophe Bourseiller, avant d’être postée sur le site de France Musique, Facebook et Dailymotion.
Le contre : où sont passées mes chances de mener une existence dramatiquement vocale, sur le fil de ma seule voix ?
Le pour : la vision de l’ouverture buccale en action (ma bouche articulant) ne fera pas oublier l’étrangeté de cette ventriloquie, l’écart entre ma voix et mon corps. Et corps ou pas, ma voix viendra quand même de l’intérieur de votre tête, comme toutes les voix.
On n’aura donc fait que déplacer le mystère !