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Oulipo > Abrégé de littérature potentielle

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> ECRIRE SOUS LES CONTRAINTES par R. DETAMBEL

La contrainte est définie comme une "obligation librement choisie." Il ne s’agit donc pas d’une gêne, pas d’une restriction non consentie, pas d’un empêchement. Ce qu’il faut souligner, c’est que la contrainte libère l’imagination.

Un sens émerge

Les consignes et les contraintes sont des règles, du jeu dit-on souvent, et, sur l’innocence du jeu, on se trompe. Tant que j’ai ignoré leur existence, je me suis perdue en flâneries, j’ai suivi des égarés, erré entre la crasse et le faux pittoresque, voulu me composer une langue à moi, alors que je ne maîtrisais aucun des procédés anciens. Si j’ai acquis une langue et un ton, c’est en cultivant la contrainte. Il y a des centaines de contraintes : des contraintes graphiques, des contraintes portant sur la lettre (comme le lipogramme), des contraintes syntaxiques, sémantiques, phonétiques, etc. Bref, il y a des milliers de procédés, d’exercices de style, de constructions préétablies (le sonnet, la terrible règle des 3 unités dans la tragédie…), qui sont repris ou détournés, ou (ré)inventés, notamment par l’Oulipo.

Une contrainte est une règle d’écriture qui entraîne une règle de lecture. Quand les poètes se soumettaient aux règles du mètre et de la rime, les lecteurs de poésie lisaient en se soumettant aux mêmes règles. Le pacte est signé entre l’auteur et le lecteur. Aujourd’hui, la contrainte est définie comme une "obligation librement choisie." Il ne s’agit donc pas d’une gêne, pas d’une restriction non consentie, pas d’un empêchement. Et en effet, ce qu’il faut souligner, c’est que la contrainte libère l’imagination. Paul Valéry confiait que, devant trop souvent écrire des choses dont il n’avait nulle envie, et l’esprit inerte devant elles, il s’imposait les lettres initiales des phrases successives à faire comme pour un acrostiche.

L’utilisation de la contrainte recentre l’écriture sur le travail d’artisanat du texte. L’écrivain redevient enfin un ouvrier conscient de ses gestes, de ses ruses et de ses esquives. On remplace, pour la bonne cause, le carcan psychanalytique par un carcan formel ! C’est l’un ou l’autre, l’écriture automatique de Breton ou le lipogramme en E de Perec ! D’habitude, on part d’une idée pour aller au mot. Avec l’écriture sous contrainte, c’est l’inverse. Ce sont les mots qui vous sont fournis (par exemple les mots sans E), qui sont filtrés et limités dès le départ. Et c’est à vous de les combiner de telle sorte qu’un sens émerge quand même. Voilà ce qui permet d’explorer de nouveaux modes d’expression, voilà comment on se découvre parfois des ressources insoupçonnées. On peut d’ores et déjà en conclure que la contrainte n’est qu’un handicap "apparent" et que l’une des forces d’un texte contraint, c’est de braquer l’oeil du lecteur sur l’écrit lui-même, non pas sur l’histoire, et d’établir une connivence avec le lecteur qui se demande ou qui a compris comment c’est fait, comment c’est fabriqué, comment c’est construit, ourdi, tressé.

Une chose est claire avec la contrainte : si elle est libératrice et créatrice, c’est qu’elle permet de sortir de sa routine personnelle. En se forçant à appliquer un certain nombre de règles, on peut écrire quelque chose qu’on n’aurait jamais eu l’idée d’écrire, jamais pu écrire sans cela. Bon ou mauvais, on ne l’aurait pas écrit. En gros, la contrainte permet de sortir de soi, s’obliger à trouver des idées, changer le mode d’exploitation de ses idées. On a toujours le choix de dire oui ou non à ce qu’on a trouvé sous contrainte. Ce n’est pas un carcan, ce n’est pas préjudiciable à la liberté de création. Je peux dire ensuite si ça me plaît ou non.

La machine-littérature

Quant à savoir s’il faut montrer la contrainte, s’il faut l’expliquer, chacun est libre. Le seul vrai problème est sans doute de trouver une contrainte qui soit une forme heureuse pour son texte, qui contienne ce qu’on a à dire, qui le révèle sans l’écraser, et surtout qui ne soit pas d’apparence compliquée et rebutante pour le lecteur. Il ne s’agit pas, ici, de la forme pour la forme, d’inutiles raffinements de construction, mais de trouver la forme qui produira un effet, qui répondra à la nécessité intérieure de l’auteur et sera conforme au mouvement de son esprit. La contrainte ne sert pas à briller, à faire preuve d’une virtuosité technique. Le texte contraint ne doit pas être une prouesse, mais une nécessité.

Pour illustrer mon propos, La Disparition de Georges Perec. Il manque une lettre, la lettre E, et le personnage principal Anton Voyl cherche quelque chose tout au long du livre. C’est un parcours initiatique. Perec, ce nom, ne contient que la voyelle E. Perec perd ses parents, son père à la guerre, en 1939, sa mère en déportation en 1942. Il devient mutique. Adolescent, il fait une psychanalyse avec Françoise Dolto. Adulte, il ne peut qu’être écrivain, puisqu’il ne trouve pas ses mots, il ne peut qu’être heureux de rencontrer la contrainte par laquelle il va pouvoir se dire et se prononcer. Ce roman sans E est bien un roman pour eux, et qui dit leur disparition à eux, ses parents. On comprendra l’émotion de Perec lorsqu’à la sortie de La Disparition un critique, qui écrit un article superbe, n’a pas décelé l’absence du E, ce qui signifie qu’il célèbre le roman, l’effet du roman, et non pas la prouesse technique.

L’écrivain n’est pas un simple opérateur effacé des opérations scripturales, même dans les contraintes les plus dures. Il n’y a qu’à regarder de près nos brouillons pour constater qu’on ne répète en somme, pour écrire, que quatre opérations : l’ajout, la suppression, la permutation et le déplacement.

Je me suis rendu compte qu’avec la contrainte, j’étais tellement préoccupée par la forme de ma phrase, par le genre du mot que j’allais utiliser, que cela se relâchait derrière, du côté de l’inconscient, je mettais vraiment tout en moi au service de la résolution du problème primaire que représentait le respect de la contrainte. Alors je m’apparaissais vraiment à moi-même. La contrainte permet de prendre des pistes qu’on n’aurait jamais foulées : on réinvente des mots perdus, on conçoit des rapprochements étonnants, on renverse les clichés. Et plus on se préoccupe de problèmes de structure, plus on s’acharne à son échafaudage, plus on élargit ses frontières. Et les territoires qu’on conquiert, on ose les arpenter parce qu’on regardait ailleurs au moment de franchir nos ponts branlants, au moment de croiser nos propres monstres ! On a raison de dire qu’on n’est pas spontané quand on essaie de l’être, à cause de ces montagnes de clichés dont nous sommes pétris. Notre culture, la façon de parler de notre région, nos lectures, notre âge, tout nous contraint, alors autant en être conscient et se choisir soi-même ses règles d’obéissance. Aux brillantes cathédrales, j’ai toujours préféré les architectures imaginaires dont je suis docilement le plan pour construire, en moi-même, mon ordre propre.

L’essentiel dans l’oeuvre n’est donc pas d’exhiber la technique ou d’exalter la contrainte mais bien de les mettre toutes deux au service de ce mystérieux en nous qui peut toucher et émouvoir, et je cite Le Corbusier, pour conclure : " On met en oeuvre de la pierre, du bois, du ciment ; on en fait des maisons, des palais, c’est de la construction. Mais tout à coup vous me prenez au coeur, vous me faites du bien, je suis heureux, je dis : c’est beau. Voilà l’architecture." Pour la littérature, remplacez les mots.

Sources : Tous les numéros de la revue Formules, tous les ouvrages collectifs publiés par l’Oulipo, et diverses oeuvres de Georges Perec, Jacques Jouet, Jacques Roubaud, Italo Calvino, Jacques Bens, etc.

> Sur Noël ARNAUD
Le premier livre de Noël Arnaud, Président de l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle), est paru en 1940 aux Editions des Réverbères et s’appelait Semis sur le Ciel. Vers une sexualisation de l’Alphabet, l’un de ses derniers ouvrages — il publie ces derniers temps à un rythme assez soutenu — est paru en 1996 aux Editions du Limon. C’est ainsi que depuis cinquante-sept ans la bibliographie de Noël Arnaud n’en finit pas de s’enrichir. J’oubliais de poser sur le dessus de la pile sa revue mensuelle au nom baptismal de La Dragée Haute. Noël Arnaud s’inscrit tout entier dans son oeuvre et l’on est surpris de voir à quel point le personnage, farceur, Encyclopédie des Farces et Attrapes et des Mystifications (avec François Caradec), compagnon des artistes de ce siècle, La religion et la morale de Francis Picabia, ami des auteurs qu’on disait alors scandaleux et dont le lectorat ne s’annonçait certes pas scolaire, Les Vies parallèles de Boris Vian, Alfred Jarry d’Ubu Roi au Docteur Faustroll, Le Dossier de l’Affaire « J’irai cracher sur vos tombes », oulipien et chercheur, Souvenirs d’un Vieil Oulipien, Gérard Genette et l’Oulipo ou L’Oecuménisme de Raymond Queneau, est admirablement silhouetté, et même croqué, par ses propres titres.
Les petits à-côtés de Noël Arnaud coïncident parfaitement avec les petits à-côtés de l’Oulipo. Rappelons qu’au septième jour — qui était le 24 novembre 1960 — il y eut l’Oulipo, fondé par Raymond Queneau et François Le Lionnais. La définition de l’Oulipo, donnée par Raymond Queneau était la suivante : « Le mot « potentiel » porte sur la nature même de la littérature, c’est-à-dire qu’au fond, il s’agit peut-être moins de littérature proprement dite que de fournir des formes au bon usage qu’on peut faire de la littérature. Nous appelons littérature la recherche de formes, de structures nouvelles et qui pourront être utilisées par les écrivains de la façon qui leur plaira. » Depuis, et suivant ces principes, sont nés les petits à-côtés de l’Oulipo. Car il existe déjà à ce jour une certaine quantité d’Ou-x-po : l’Ouvroir de Peinture Potentielle (Oupeinpo), l’Ouvroir de Littérature Policière Potentielle (Oulipopo), l’Ouvroir de Cuisine Potentielle (Oucuipo), l’Ouvroir de Tragicomédie Potentielle (Outrapo), l’Ouvroir d’Histoire Potentielle (Ouhispo), l’Ouvroir de la Bande Dessinée Potentielle (Oubapo), l’Ouvroir de Marionnette Potentielle (Oumapo), l’Ouvroir de Photographie Potentielle (Ouphopo), l’Ouvroir de Cinéma Potentiel (Oucinépo), l’Ouvroir de Musique Potentielle (Oumupo) et enfin, enfin l’Ouvroir de Cuisine Potentielle (Oucuipo) dont Noël Arnaud est le « président par intérim définitif. »
Et c’est précisément dans l’Oucuipo que j’ai choisi les petits à-côtés du président de l’Oulipo. En 1968, Noël Arnaud avait déjà publié, aux Editions Jean-Jacques Pauvert, La Langue verte et la Cuite, sous titrée Etude gastrophonique sur la marmythologie musiculinaire « [qui] rend hommage à celui qui, le premier, a pressenti les relations intimes de la langue, en tant qu’organe gustatif, et du chant, en tant qu’expression de la jouissance gastronomique, notre maître Claude Lévi-Strauss. » Expert en gastronomie, connaissant par coeur les grands dictionnaires de cuisine (l’Alexandre Dumas, le Jules Gouffé, le Pellaprat…), conscient que l’oenologie est une branche fondamentale de l’Oucuipo, Noël Arnaud vient de publier, aux Editions Plein Chant, D’une Théorie Culinaire dont voici, en guise d’amuse-bec, un savoureux extrait.
« Observez que beaucoup de dénominations de plats, sans les orner pour la circonstance, en appellent à l’érotisme, voire à la pornographie. Ainsi l’ouille qui fut un potage. Madame de Maintenon (ex-Scarron) parlait dans ses lettres de l’ouille au pot, il est par conséquent légitime de désigner ce potage par : les ouilles au pot de Mme de Maintenon. Il existe l’Arche barbue, très évocatrice (c’est un coquillage), le Baba, la Queue de boeuf en hochepot, la Barbe de bouc (qui est un légume du genre asperge), le Barbeau à la matelote marinière. Il est des légumes dont le nom seul fait frémir, entre autres le Bacile, appelé parfois Bacile de Normandie : c’est sur les côtes normandes qu’on le cueille, on le confit au vinaigre et on le mange comme des cornichons. Un potage terrorisant, qui évoque l’Ogre du Petit Poucet et le hachoir ou la moulinette à bébés de Jean-Christophe Averty : la Bisque de pouparts. Certains mets réclament un accompagnement, nous pensons à cet excellent zoziau : le bec-figue, il va sans dire que la recette prescrite est le bec-figue aux figues. Or vous n’ignorez pas la signification de la figue pour les Italiens. Un gâteau dauphinois : la pogne de Romans ne se comprend qu’en pogne de Romans cochons. La Bordelière désigne un poisson de rivière ou de lac. Vous plongez — en vue d’un S+n — dans le Dictionnaire du français argotique et populaire de notre collègue oulipien François Caradec, et vous complétez la Bordelière, vous dites : la bordelière à Madame. »
(Noël Arnaud, D’une Théorie Culinaire suivi des Adevinailles, 30 pages, 36 F, Editions Plein Chant)
Lorsque j’ai demandé à Noël Arnaud ce que signifiaient pour lui les petits à-côtés, il m’a donné cette réponse, pleine et passionnante : « L’à-côté est l’oeuvre même. Je joue dans un théâtre à côté. Ainsi nommait-on à la fin du XIXe siècle les salles fonctionnant à peu près sous la forme d’une association ou d’un club avec des adhérents et un vaste public d’invités gratuits et partisans. Les théâtres à côté subissaient une surveillance policière sévère ; la censure qu’ils espéraient enfreindre de par leur statut se traduisait souvent par l’interdiction et la fermeture pure et simple. Le Théâtre de l’Oeuvre, fondé sous le nom de Théâtre d’Art par un Paul Fort de 18 ans, et repris par Lugné-Poe était le modèle type du théâtre à côté. Il créa dans un tumulte soigneusement entretenu l’Ubu Roi de Jarry, après le Peer Gynt d’Ibsen et nombre de pièces à scandale comme Ames Solitaires de Gerhardt Hauptmann traduites par Alexandre Cohen qui valurent au Théâtre de l’Oeuvre l’interdiction par ordre de la PP (ou PPP : Préfecture de Police de Paris). Quand la pièce ne fournissait pas le motif d’un grand vacarme, on la faisait précéder d’une conférence provocatrice. Ces théâtres à côté, qu’on tenait à l’oeil, furent les rénovateurs du théâtre en France et firent connaître Maeterlinck (avec Pelleas et Mélisande), Charles Van Lerberghe, Tristan Bernard, Judith Cladel, Rachilde, Jean Lorrain, Oscar Wilde, etc. ; ils avaient pour décorateurs et costumiers des gens qui s’appelaient Pierre Bonnard, Edouard Vuillard, Toulouse-Lautrec, Sérusier… Le nombre des amateurs d’art véritablement dramatique s’étant depuis l’année 96 du siècle précédent beaucoup amenuisé, mon théâtre à côté ne réunit plus que quatre-vingt-dix-neuf spectateurs devenus aphones à force de hurler. N’entendant plus aucun bruit, la PP nous laisse en P. L’à côté est l’oeuvre même. L’Oulipo l’a démontré après avoir essuyé les railleries des inintelligents. Mais je n’oublie pas, et l’Oulipo ne doit pas oublier l’avertissement de Jarry quant au risque encouru par les théâtres à côté de se trouver en quelques années « dans tout le mauvais sens réguliers, s’ils ne se souviennent que leur essence est non d’être mais de devenir. » »
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Noël Arnaud ou l’art de la vitesse du son

Le premier livre de Noël Arnaud, Président de l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle), est paru en 1940 aux Éditions des Réverbères et s’appelait Semis sur le ciel. Vers une sexualisation de l’alphabet est paru en 1996 aux Éditions du Limon, Le Nœud, en 1998, avec cinquante dessins de Gilles Brenta. Cette année-là, Noël avait presque tué sous lui son modem à jet d’encre et domestiquait la Grande Toile.
C’est ainsi que depuis cinquante-neuf ans la bibliographie de Noël Arnaud n’en finit pas de s’enrichir. J’oubliais de poser sur le dessus de la pile sa revue mensuelle au nom baptismal de La Dragée haute. Noël Arnaud s’inscrit tout entier dans son œuvre et l’on est surpris de voir à quel point le personnage, farceur, (Encyclopédie des farces et attrapes et des mystifications (avec François Caradec)), compagnon des artistes de ce siècle (La religion et la morale de Francis Picabia), ami des auteurs qu’on disait alors scandaleux et dont le lectorat ne s’annonçait certes pas scolaire (Les vies parallèles de Boris Vian, Alfred Jarry d’Ubu roi au Docteur Faustroll, Le dossier de l’affaire « J’irai cracher sur vos tombes »), oulipien et chercheur (Souvenirs d’un vieil oulipien, Gérard Genette et l’Oulipo ou L’œcuménisme de Raymond Queneau) est admirablement silhouetté, et même croqué, par ses propres titres.
Noël Arnaud est un encyclopédiste, un humaniste dont l’arbre de la connaissance compte autant de branches que l’Oulipo. Rappelons qu’au septième jour — qui était le 24 novembre 1960 — il y eut l’Oulipo, fondé par Raymond Queneau et François le Lionnais. La définition de l’Oulipo donnée par Raymond Queneau était la suivante : « Le mot « potentiel » porte sur la nature même de la littérature, c’est-à-dire qu’au fond, il s’agit peut-être moins de littérature proprement dite que de fournir des formes au bon usage qu’on peut faire de la littérature. Nous appelons littérature la recherche de formes, de structures nouvelles et qui pourront être utilisées par les écrivains de la façon qui leur plaira. » Depuis, et suivant ces principes, sont nés les drageons (hauts) de l’Oulipo,. Car il existe à ce jour une certaine quantité d’Ou-x-po : l’Ouvroir de Peinture potentielle (Oupeinpo), l’Ouvroir de Littérature Policière Potentielle (Oulipopo), l’Ouvroir de Tragicomédie potentielle (Outrapo), l’Ouvroir d’Histoire Potentielle (Ouhispo), l’Ouvroir de la Bande dessinée Potentielle (Oubapo), l’Ouvroir de marionnette potentielle (OuMaPo), l’Ouvroir de Photographie Potentielle (OuPhoPo), l’Ouvroir de Cinéma Potentiel (OuCinéPo), l’Ouvroir de Musique Potentielle (OuMuPo) et enfin, enfin l’Ouvroir de Cuisine Potentielle (OuCuiPo) dont Noël Arnaud est le « Président par intérim définitif ».
En 1968, Noël Arnaud avait déjà publié, aux Éditions Jean-Jacques Pauvert, La langue verte et la cuite, sous titrée Étude gastrophonique sur la marmythologie musiculinaire. « [qui] rend hommage à celui qui, le premier, a pressenti les relations intimes de la langue, en tant qu’organe gustatif, et du chant, en tant qu’expression de la jouissance gastronomique, notre maître Claude Lévi-Strauss. » Expert en gastronomie, connaissant par cœur les grands dictionnaires de cuisine (l’Alexandre Dumas, le Jules Gouffé, le Pellaprat), conscient que l’œnologie est une branche fondamentale de l’Oucuipo, Noël Arnaud vient de publier aux Éditions Plein chant, D’une théorie culinaire dont voici, en guise d’amuse-bec, un savoureux extrait : « Observez que beaucoup de dénominations de plats, sans les orner pour la circonstance, en appellent à l’érotisme, voire à la pornographie. Ainsi l’ouille qui fut un potage. Madame de Maintenon (ex-Scarron) parlait dans ses lettres de l’ouille au pot, il est par conséquent légitime de désigner ce potage par : les ouilles au pot de Madame de Maintenon. Il existe l’Arche barbue, très évocatrice (c’est un coquillage), le Baba, la Queue de bœuf en hochepot, la Barbe de bouc (qui est un légume du genre asperge), le Barbeau à la matelote marinière. Il est des légumes dont le seul nom fait frémir, entre autres le Bacile, appelé parfois le Bacile de Normandie : c’est sur les côtes normandes qu’on le cueille, on le confit au vinaigre et on le mange comme des cornichons. Un potage terrorisant, qui évoque l’Ogre du Petit Poucet et le hachoir ou la moulinette à bébés de Jean-Christophe Averty : la Bisque de poupards. Certains mets réclament un accompagnement, nous pensons à cet excellent zoziau : le bec-figue, il va sans dire que la recette prescrite est le bec-figue aux figues. Or vous n’ignorez pas la signification de la figue pour les Italiens. Un gâteau dauphinois : la pogne de Romans ne se comprend qu’en pogne de Romans cochon. La Bordelière désigne un poisson de rivière ou de lac. Vous plongez en vue d’un S+n dans le Dictionnaire du français argotique et populaire de notre collègue oulipien François Caradec et vous complétez la Bordelière, vous dites : la bordelière à Madame. »
Si Noël Arnaud n’avait pas reçu aujourd’hui même (et pour deux jours encore) des conservateurs de musée, nous aurions su comment se dit premier janvier 2000 au calendrier du Collège de Pataphysique et le fin mot de sa relation avec Boris Vian. Nous finirons par le savoir. Noël Arnaud est frais comme un goujon du jour et délié comme un homme qui a échappé à tous les enlisements. Il faut dire que son credo est signé de Ernst Mach, l’inventeur de la vitesse du son : « Les hasards sont des régularités masquées de complications. »

Régine Detambel