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Ils voudraient savoir s’ils sont bons, ils aimeraient pouvoir faire pleurer, ils se sont attelés à un roman mais ont peur de tomber hors d’eux s’ils continuent à l’écrire, ils veulent publier et ont déjà choisi leur police de caractères, ils subissent l’envie sidérante de l’édition, et c’est à l’animateur qu’ils demandent de les juger, comme s’il savait quel est le chemin à prendre et quand se produira le court-circuit qui fera de leur historiette une œuvre.
On le voit, un animateur d’ateliers d’écriture est particulièrement exposé et toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, comme l’affirment les prudents, les peureux et, d’une manière générale, tous les diplomates.
Pourtant, ne pas avertir quelqu’un qu’il court à l’échec ou se taire quand on le voit manifestement se tromper, c’est, diront des cœurs sensibles, ne pas assister une personne en danger. Mais le danger n’est rien, il est normal, le frôler est nécessaire pour qui veut écrire. La flatterie est bien pire. Flatter une plaie, dit Littré, c’est n'y appliquer que des remèdes trop doux… Animer un atelier, c’est renoncer, du jour au lendemain, à la flatterie.
Pour le reste, je ne vois pas de recette miraculeuse. L’animateur doit évidemment se situer, s’il le peut, dans un parfait équilibre qui le maintiendrait à égale distance de Louis Bouilhet et d’un armurier. Pour l’armurier, la comparaison est simple : « Franchement, comme dit Annie Dillard, pourquoi ne pas te tirer une balle dans la tête plutôt que de terminer un énième excellent manuscrit qui encombrera le monde ? » Si l’animateur est écrivain, ces jours-ci jeté dans un ouvrage que personne n’attend et dont il doute silencieusement, il se tiendra de lui-même très loin de la posture de l’armurier.
Pour Louis Bouilhet, Jean Rouaud raconte, dans une belle histoire d’amitié et de rude franchise, comment la flatterie aurait empêché Flaubert de naître et, avec lui, toute la littérature contemporaine. Le jeune Flaubert a deux amis chers, Maxime Du Camp et Louis Bouilhet. Il leur lit, quatre jours durant, son dernier manuscrit, La Tentation de Saint Antoine. Il est très sûr de lui : « Si vous ne poussez pas des hurlements d’enthousiasme, c’est que rien n’est capable de vous émouvoir. » Flaubert avait de bons amis, écrit Rouaud. C’est le timide Bouilhet qui se lança : « Nous pensons qu’il faut jeter cela au feu et n’en jamais reparler. » Flaubert fit un bond et poussa un cri d’horreur. Mais il résista au choc et travailla ensuite follement à Madame Bovary. Autre exemple cité par Rouaud. Quand le jeune Martin Scorcese présenta, plein d’espoir, son premier film à John Cassavettes, celui-là s’écria : « Tu viens de passer un an de ta vie à faire de la merde. » Ensuite ce sera Main Streets conclut Rouaud. Ensuite, ce sera la Bovary.
Je l’ai dit, l’animateur d’ateliers d’écriture n’est donc ni Louis Bouilhet ni un armurier, mais un funambule entre ces deux mâts. Et comme tous les funambules, il n’a qu’une mission visible, celle de faire lever la tête.
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Merci de votre attention et à très bientôt !
Chaleureusement,
Régine Detambel