Un peu de théorie

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Consigne & pivoine

Présentation

L’atelier d’écriture peut ressembler, par certains côtés, aux confessionnaux où l’on égrenait « de mauvais cœur, la litanie coutumière des bêtises dites péchés véniels ou mortels pour qu’une formule magique expédiée à la sauvette lessive l’âme jusqu’à la prochaine semaine. » Et sans doute, oui, certains animateurs jettent-ils leur consigne d’écriture comme des devinettes paraboliques à de jeunes pénitents. La consigne, la proposition d’écriture, la contrainte comme on dit même, n’est alors ni plus ni moins qu’un récapitulatif, un grossier schéma, prudemment dépouillé de détails suggestifs, et destiné à rafraîchir la mémoire du pécheur en vue d’un examen de conscience.
Sans doute est-ce d’abord la faute aux mots. « Consigne », « proposition d’écriture », « contrainte », sont des termes si résolus, avec leurs noms sévères de lois pénales, si despotiques qu’on les dirait employés exprès pour faire baisser les yeux ou reculer d’un pas tous ceux qui fréquentent l’atelier parce qu’ils se sentent douloureusement étrangers à eux-mêmes.
Je pense à Octave Mirbeau, à sa manière de s’indigner contre les jardiniers qui ont osé donner à des fleurs simples, aux iris, aux delphiniums, aux clématites des noms de vieux généraux et de politiciens déshonorés : « Il est des narcisses — des narcisses !— qui se dénomment grotesquement : Le triomphe du Président Félix Faure ; des roses trémières qui, sans protester, acceptent l’acceptation ridicule de Deuil de Monsieur Thiers ; des violettes, de timides, frileuses et exquises violettes à qui les noms du général Skobeleff et de l’amiral Avellan n’ont pas semblé d’injurieux sobriquets ! » Pourtant, la consigne en elle-même n’est pas si mauvaise, bien au contraire. Si elle porte un nom qui sonne comme une instruction stricte ou une armoire métallique, ce n’est qu’une plaisanterie dégradante qu’on a faite à sa fragilité. La consigne est une phrase, une bribe de texte ou une question, souvent émouvante, rarement louable ou généreuse, jamais infâme, qui lance à sa façon l’atelier sur la piste de ses propres mystères.
Octave Mirbeau s’exaltait à l’idée que les Chinois ont, eux, pour nommer leurs pivoines, des merveilles de saluts et de célébrations comme « L’eau qui dort sous la lune » ou « Ma robe n’est plus toute blanche parce qu’en la déchirant le Fils du Ciel y a laissé un peu de sang rose » ou bien encore « J’ai joui de mon ami dans le jardin. »
Si ce sont là de simples noms de fleurs, alors je ne vois pas pourquoi la consigne d’écriture ne pourrait pas porter, elle aussi, et déjà dans son nom même, la prodigieuse intensité de ce qu’elle est censée promettre, dire ou déclencher.