Un peu de théorie

Un peu de théorie

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Miniature d'éternité

Présentation

Banalité de dire qu’il faut toute une vie pour écrire. Il en faudrait autant encore pour tenter de réduire l’écart entre ce que l’on a écrit et ce qu’il aurait fallu écrire. Et deux fois plus pour s’appesantir sur le pressentiment qu’on avait eu que l’écriture met en jeu bien d’autres éléments, que peut-être le texte a recueilli et montré mais devant quoi on est resté, tant d’années, aveugle. Enfin, il faudrait encore, par là-dessus, une autre perpétuité pour se relire en vue d’écrire, essayant de repérer dans son texte les éléments qui s’ouvrent sur le livre à composer demain.
La journée du 28 août 1922 du journal de Virginia Woolf est cette miniature d’éternité : « Je me remets au grec ; et je dois absolument établir un programme. Nous sommes aujourd’hui le 28. Finir Mrs Dalloway le samedi 2 septembre. Du dimanche 3 au vendredi 8, mettre Chaucer en chantier. Chaucer — je veux dire ce chapitre — devrait être fini le 22 septembre. Et après ? Écrirai-je le chapitre suivant de Mrs Dalloway, à supposer qu’elle doive avoir un chapitre suivant ? Sera-ce Le Premier Ministre qui se prolongera jusqu’à la semaine qui suivra notre retour, disons le 12 octobre ? Ensuite il faudra que je sois prête à reprendre le grec. J’aurai donc d’aujourd’hui 28 août jusqu’au 12 octobre, soit un peu plus de six semaines, mais je dois prévoir quelques interruptions. Maintenant, que dois-je lire ? Un peu d’Homère, une tragédie grecque, un peu de Platon ; Zimmern, Sheppard comme manuel ; la vie de Bentley. Si tout cela est fait consciencieusement cela devrait suffire. Mais quelle pièce grecque ? Combien d’Homère, et quoi de Platon ? Et puis il y a l’Anthologie ; tout cela devant se terminer par l’Odyssée à cause des élisabéthains. Je dois lire aussi un peu d’Ibsen pour le comparer à Euripide ; Racine avec Sophocle ; et peut-être Marlowe avec Eschyle. Cela fait très pédant, mais cela pourrait vraiment être amusant. Sinon, inutile de continuer. »