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Désir d'immensité
Prêtresse de Delphes, roulée dans la peau du serpent Python, ou Psyché ou Souffle ou Daimôn ou Génie : pour le poète occidental, tous les mots de l’inspiration viennent de la Grèce. D’abord l’âme, anemos, c’est du vent. Chez Homère, elle est tantôt la passion qui s’élance hors du guerrier comme un flot de sang chaud ; tantôt, au contraire, discrète comme une biche, elle évoque silencieusement le souffle de la respiration animale. Dans la mort, l’âme, que l’aède nomme psyché, abandonne le corps vivant par sa bouche ou par les lèvres d’une blessure qui l’a touché, et s'en va chez Hadès. Au royaume des morts, la psyché s’appesantit comme un double noir, un fantôme à la ressemblance du défunt, qui vivra désormais au ralenti, avec les ombres.
Ensuite viendront les chamans, par-delà la Mer Noire, qui sont les prophètes d'une nouvelle croyance : ils enseignent qu'il y a en l'homme une âme d'origine divine. Elle existait avant la chair et durera après elle. Ces chamans persuadent Orphée et Pythagore, puis Empédocle. Désormais le corps est l’ennemi de l’âme. Il la tient fermement, comme dans une prison ou une tombe. Platon s’est fait l'écho de ces doctrines. Voilà à peu près le point du temps et de l’espace où l’on quitte l’unisson. Le poète a la tête suspendue dans l’espace. Son corps doit se taire. Et sa personne tout entière se vider comme un lapin. Alors seulement le délire divin pourra résonner, et le poète souffrir, dans le déchirement de la création, écartelé, tête et corps chacun de son côté. Certains délires ne sont pas un mal, mais un don divin. Les prophétesses de Delphes, de Dodone, la Sibylle, rendent de beaux services quand elles sont en proie à la folie et aucun quand elles ont toute leur tête. Le délire est une belle chose s’il est d’origine céleste.
La voix du Seigneur de Delphes éveille, âpre et exigeante, qui vient de loin et qui appelle au loin. Son langage est parole commençante. Il a la violence d’une première clarté, c’est la parole oraculaire des prophètes et des visionnaires. Le lot commun des prophétesses et des écrivains inspirés : l’ineffable, l’inouï, les expériences sans modèle et sans fard, particularités, singularités. Leur tête est en proie à un vertige : ils se savent en train tout à coup d’accueillir ce qui ne s’accueille pas, ce qu’ils ignorent le plus absolument. Cette défaillante nerveuse est probablement insupportable, vive prompte, douloureuse. Son interprétation est présomptueuse (Platon s’y est risqué, Rousseau…). Son attribution est insensée (Dieu, Apollon…). Pourtant, le désir d’immensité, chez tous, fait taire la peur de la dissolution. Au dégoût de n’être que soi, étriqué, sans excès, s’oppose la soif de cet impersonnel, dilaté et enviable à l’extrême.
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www.regine-detambel.com
J’espère que vous apprécierez cette nouvelle expérience de navigation.
Merci de votre attention et à très bientôt !
Chaleureusement,
Régine Detambel