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Du chaos dans la tache
Le Witz pourrait bien être l’une des traductions allemandes de l’inspiration puisqu’il est une surprise, une idée qui vient sans qu’on l’attende, au hasard, et qui échappe aussi vite, à l’improviste. Mot d’esprit, trait d’esprit, acuité, saillie, pointe, pouvoir soudain d’assembler les images comme les mots et de les amalgamer en une synthèse propre, il est une éblouissante trouvaille, mais sans une once d’analyse ou de logique, juste un amas bariolé de petites merveilles qui, animées de l’esprit d’un seul esprit, tendent vers un même but.
Le Witz saisit d’un seul coup d’œil et à la vitesse de l’éclair, dans la confusion d’un chaos hétérogène, tordu, morcelé comme des glaces flottantes, les relations nouvelles, inédites, créatrices qu’il est capable de mettre au jour. Il fait des rapports, cherche et compare des objets. Marieur, noueur de liens, le Witz est un prêtre de comédie qui accueille tous les couples. Le Witz suppose l’équivoque, il comprend de travers pour saisir autrement, différemment. Le Witz est ce que les yeux voient fermés. Le Witz serait une sorte de hasard artificiellement provoqué : du rapprochement fortuit de deux termes jaillit une lumière particulière, une image à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles.
Rechercher le Witz serait écrire ce qui passe par la tête, se laisser aller à la libre association d’idées propre aux rêves pour obtenir un effet en quelque sorte mythologique. Ce serait sauter d’une idée à l’autre, car le Witz, aussi lutin que le duende de Garcia Lorca, représente l’esprit de souplesse et d’adaptation, l’agilité de l’imagination et la légèreté de penser. Versicolore et changeant, elfe entremetteur, il est plus inventif encore que le farfadet du flamenco. Le Witz est le savoir changé en jeu. Le Witz est l’ampoule électrique qui s’allume au-dessus de la tête du héros, dans les dessins animés, comme un filament, il est mobilité perpétuelle, style électrique, esprit chimique, déplacement équivoque, chevauchement d’une idée sur l’autre. Le Witz est explosif. Une génialité fragmentaire, la claire conscience de l’éternelle agilité. Le Witz sait où il veut en venir, distingue déjà parfaitement, dans la plénitude infinie du chaos, le produit de forces qui ne cessent de se diviser et de se combiner.
Le Witz est un jaillissement de taches sous les doigts d’André Masson. Le frottage de Max Ernst, parce qu’il intensifie l’irritabilité des facultés de l’esprit, est aussi producteur de Witz. Le Witz naît de l’automatisme. La main du peintre s’aile véritablement avec lui : elle n’est plus celle qui calque les formes des objets mais bien celle qui, éprise de son mouvement propre et de lui seul, décrit les figures involontaires dans lesquelles les formes sont appelées à se réincorporer. Sans intention préconçue, la plume file une substance infiniment précieuse. La leçon de Léonard de Vinci vient également du Witz : comment s’absorber dans la contemplation des crachats ou des taches sur un vieux mur jusqu'à ce que s’organise pour l’œil un monde second, où l’on voit des batailles, des portraits et des chevaux dans la tempête.
Du chaos dans la tache… Encre, démon omnivore, faiseuse de mirages, briseuse de digues, débordeuse de mondes… Dans l’art de la tache, nulle logique conventionnelle, ni points de repères commodes. Le jaillissement provoque le flot et le flot est à subir. Ni direction ni perspective, pas d’autre origine que la provocation solitaire du poète et de l’artiste. L’inspiration pure.
La tache contient, en quelque sorte tout armée, une impulsion, une force de démarrage, propulsive, ascensionnelle, tout à fait intense et neuve. Il faudra savoir la lire pour pouvoir, à son tour, la domestiquer — comme un gaz puissant, une force volcanique, un geyser d’Islande brûlant — et l’utiliser, toujours à des fins énergétiques, certes, mais en vue d’un emploi plus domestique, donc moins imprévisible et moins dangereux.
L’image obtenue en observant le nuage, le crachat, la lézarde du mur ou la tache d’encre de Chine écrasée sur le papier et brunie par la dilution, n’est jamais banale. Les images produites par le hasard ne coïncident pas avec les normes ordinaires de la perception et possèdent toujours un coefficient plus ou moins élevé de fantastique. Tache et sorcellerie ne sont pas bien loin l’une de l’autre… On fait de l’encrier un alambic où distiller des mixtures bizarres et teinturières. La tache d’encre est cette matière informe et lâche, cette substance taboue, qu’il faut sans cesse tenter de hisser au rang d’œuvre. Tout comme le Livre de la Genèse ordonne un monde à partir d’un tohu-bohu indicible, toute tache offre un monde à ordonner. Toute tache porte en elle un milieu de pure fiction.
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www.regine-detambel.com
J’espère que vous apprécierez cette nouvelle expérience de navigation.
Merci de votre attention et à très bientôt !
Chaleureusement,
Régine Detambel