Propositions d'écriture

Juste un mot

Il vous arrive de feuilleter le dictionnaire ou une encyclopédie, sans but, pour le simple bonheur de fureter. A table, vous lisez et relisez l’étiquette de la bouteille d’eau minérale en cherchant des anagrammes. Vous êtes un lexicomaniaque !
L’amour que l’on éprouve pour le verbe, tout comme celui qui brûle la chair, commence par une rencontre.
Vous avez collectionné les mots, comme Marcel Pagnol, dans son calepin d’enfance, consigna "manivelle" et "anticonstitutionnellement" ; vous aimez les mettre en images comme un poète, ou en bouche comme un taste-vin, alors je vous propose de raconter votre histoire intime avec votre mot préféré (ou bien une expression, un slogan, une citation). Quand, dans quelles conditions l’avez-vous rencontré ? Rencontre banale ou foudroyante ?

Le mot nous ouvre un monde. Le monde vient habiter le mot. Il y vient à sa manière, parce que le mot l’invite à sa manière, avec ses couleurs et ses jeux de matière. Vous vous servez du mot, mais le mot se sert de vous, pour que la réalité lui ressemble, à moins que ce ne soit l’inverse. Le mot résonne. Il s’ouvre et se refuse. Il se cherche, alors vous vous cherchez.
Le mot s’aventure dans le monde. Le mot vous expose parce qu’il ne vous appartient pas. Il est parlé de bouche en bouche, de livre en livre. Il charrie une mémoire plus ancienne que la vôtre. Il accepte que vous l’utilisiez si vous le faites vivre, c'est-à-dire si vous lui rendez la liberté.

Un mot, un seul… L’exercice peut sembler cruel. Le lecteur, la lectrice, ne baignent-ils pas dans le vocabulaire à longueur de journée ? N’ont-t-ils pas, au bas mot, mille verbes et mille adjectifs au bout des yeux ?
Jouez le jeu. Il ne s’agit pas d’un concours de beauté. On ne vous a pas invités à commenter votre mot préféré, mais à nous offrir un mot-clé, une clé d’or, un mot-clé-d’or, celui qui introduit le mieux à votre être.
Faites donc marcher votre mémoire et votre instinct pour que vienne, de lui-même, le mot le plus juste, celui qui vous ressemble le mieux. Un mot sonnant et trébuchant, un signe physique, un mot de souffle, un petit caillou contre lequel s’agacer les dents. Un mot charnel et concret, à déployer comme on déploie un rouleau d’étoffe, et ça se déverse et ça se dévide et ça se déroule et ça s’étend. Voilà ce qu'est le mot. Incontrôlé, inévitable, comme on déploie une histoire.

Par exemple hier, dans votre lecture, ce mot ce qui vous a saisi ; et ce matin, quand l’odeur d’un arbre vous a surpris, c’était aussi un mot. Et quand vous entendrez par hasard une chanson qui vous rappelle un instant délicieux, ce sera un mot. Quand vous ouvrez la fenêtre, c’est un mot. Quand il y a du vent, c’est un mot, un mot lumineux, parfois très bref, mais tout aussi réel, aussi palpable et aussi essentiel que du sel, que du pain, que quelqu'un.

Donc un mot, un mot de vous, le mot caché, le mot qui vous génère, le mot qui vous est au cœur, le mot invisible, vous n’avez plus qu’à le faire apparaître…