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L'avis de l'éditeur
Colette, comme une flore, comme un zoo (sous-titré Un répertoire des images du corps) est un dictionnaire subjectif, une grande collection de citations classées par ordre alphabétique, les bonheurs d’une lectrice qui a noté, sur un carnet, ses images préférées. Qui n’a rêvé de collectionner, dans un catalogue secret, les phrases qui l’ont fait soupirer, qui l’ont surpris, qu’il a eu envie de piller en se disant : "Voilà ce que j’aurais aimé écrire." ? Ce livre est le résultat d’une quête lente, un lexique personnel des plantes et des animaux à l’aide de quoi Colette créa ses images d’écrivain.
Colette a peint Claudine, Annie, Renaud et Bel-Gazou comme Giuseppe Arcimboldo peignit, d’iris et de merises, de noix et de nèfles, les saisons. Sa main courte et dure, sa main de jardinière qui écrivait était faiseuse de merveilles.
Colette a fendu la langue du bouledogue comme un pétale d’iris, le chaton léché est hérissé comme un chardon, la chauve-souris a le ventre en figue, les femmes portent des cous en fût de bouleau, elles ont le visage oblong comme une aveline mûre, la bouche comme l’intérieur d’une cerise mordue et des bras dodus comme la criste-marine. Les roses, elles, ont un menton par quoi on les soulève, il y a des houppes sous les aisselles des sureaux, toutes les pensées ont la barbe carrée d'Henri VIII. Quant au bégonia, il rappelle aussi bien la langue pendante et charnue d’un chien haletant que les joues fardées d’une comédienne.
Colette a remplacé le dictionnaire analogique, le dictionnaire des synonymes par ses herbiers d’enfance, ses volumes botaniques et zoologiques éclatants, toujours à portée de sa main.
Colette, comme une flore, comme un zoo est une serre particulière, un jardin d’acclimatation intime. De "Abricot" à "Violette" et de "Abeille" à "Taureau", Régine Detambel nous ouvre le précieux catalogue de sa collection privée.
Du côté de l'auteur
J’aime Colette. Ses personnages de papier m’ont sauvée. Ils sont vivants, savent vivre. Ses personnages sont à son image, une battante, qui se relève tout de suite et qui repart. Adolescente, c’est comme si elle m’avait dit : "Secoue-toi, bouge, crée ta chance". Quand on lit Colette, on n’est plus seule, on est habitée par Colette. L’écriture de Colette c’est la résultante de toutes les expériences humaines. C’est une femme qui pousse à vivre, à aiguiser sa curiosité, à tout tenter, tout vivre à fond, tout boire, même si c’est un peu amer. Elle finissait parfois ses lettres à ses amies par : "Je t’espère pleine d’appétit et même d’appétits."
Ses images littéraires et ses comparaisons tournent (presque) toujours autour de la Faune ou de la Flore. Contrairement à un écrivain qui va utiliser un dictionnaire des synonymes, Colette puise plutôt ses images dans les livres botaniques et c’est ce qui fait la spécificité de son écriture et de ses images. Les images qui lui viennent spontanément à l’esprit, ses références, son imaginaire sont complètement animaux et végétaux. Alors j’ai voulu lui consacrer un essai : Colette. Comme une flore comme un zoo, sous-titré Un répertoire des images du corps dans l’œuvre de Colette.
Je lisais Colette, mon carnet de notes à côté de moi, je relevais les citations que j’aimais, qui me surprenaient, que j’avais envie de piller. C’est ainsi que ce livre est né, d’une collection de citations. Relever dans l’oeuvre les occurrences des noms de plantes et de bêtes m’enchanta. Je n’ai demandé l’aide d’aucun ordinateur qui aurait pu me fournir, en quelques secondes, le nombre d’occurrences du réséda ou du palissandre. Non. Au crayon de papier, j’ai tracé une flèche, un cercle, une mouette, une croix dans la marge de mes livres, chaque fois que je rencontrais le nom d’une plante ou d’un animal. Au début, je me souviens que je cochais thé et café avec obstination. Thé et café apparaissent des centaines de fois dans les Claudine où l’on passe son temps dans les réunions mondaines.
Ensuite, j’ai reporté sur des fiches bristol, soigneusement séparées par des onglets alphabétiques, les milliers de citations que j’avais relevées. Si les animaux de Colette étaient des bêtes communes, les plantes, leur nombre et leur luxuriance me déroutèrent. Je ne connaissais pas le gloxinia, le mantelet des dames, l’Ave Maria ou le fameux rosier Cuisse-de-nymphe-émue.
En rassemblant les citations de Colette, en les triant, en respectant une hiérarchie fondée sur l’originalité de la phrase, son esthétique, sa séduction, en écartant les images trop traditionnelles, en ne gardant que les plus révolutionnaires, en rejetant les doubles, les triples, mes gestes étaient identiques à ceux que je faisais quand j’étais enfant et philatéliste. Je me souviens des timbres triangulaires émis par Monaco et qui représentaient des poissons et des coquillages. J’ai encore en mémoire les séries de têtes de chiens, qui venaient de Hongrie. Les Emirats arabes émettaient des planches entières d’oiseaux et de papillons sur fond doré. Il y avait des chevaux sur les timbres polonais. Il faut faire glisser la citation, du livre vers la page vierge, avec des précautions de philatéliste décollant d’une enveloppe le timbre convoité.
Colette savait manier les caractères les plus intimes des plantes et des animaux, le vivant devenait un véritable générateur de métaphores. J’ai essayé de démonter quelques-uns de ses subtils mécanismes de construction. Le miracle de Colette consiste en une clarté perpétuelle. Qu’une femme ressemble à une sauterelle, "l’une de ces sauterelles qui ont une tête de cheval mecklembourgeois", n’a rien d’obscur. Qu’un jeune garçon ait des "yeux pelucheux comme la fleur de l’ageratum" n’a rien d’hermétique.
Les femmes, les hommes, les plantes et les bêtes de Colette vivent dans une harmonie formidable et toutes leurs forces se rejoignent spontanément pour se répondre et s’associer. Même en dehors de cet essai, j’ai peu écrit qui ne soit inspiré de Colette. Mon roman intitulé Elle ferait battre les montagnes, l’histoire de cette petite fille dont la chevelure est quasiment magique, est inspiré de Colette enfant, qui avait des cheveux longs jusqu’aux chevilles. Mon livre raconte l’histoire d’une enfant séduisante qui fascine son entourage par "les boucles poignantes de ses cheveux", c’est une petite déesse de chair, de moelle et d’eau fraîche, jusqu’à ce que les chasseurs et une balle perdue ne gâchent la fête.
Le Jardin clos contient aussi des citations de Colette. Je lui ai piqué cette comparaison : "des roseaux pelucheux comme des dos d’oursons." C’est l’histoire d’un jeune SDF qui vit dans un jardin public et sa vie est rythmée par les amours des chats, les cycles de la Nature, il est un dieu païen de la nature captive des villes.
Et puis La Patience sauvage, qui commence ainsi : "Les arbres étaient pour la plupart des chênes, et quand je venais pour les vacances, en juillet, leur écorce était grasse de lessive. Leur tronc moussait. A peine arrivée je voulais toujours laver les arbres." Je me demande ce qu’en aurait pensé Colette !
Grâce à cet essai, j’ai fait la connaissance de l’un de ses ayants droit, Foulques de Jouvenel, avec lequel je me suis liée d’amitié. Il m’a emmenée au Musée Colette, à Saint-Sauveur, il m’a fait entrer dans le jardin à la glycine, le vrai, et, fétichiste comblée, je me suis même assise "à la proue du radeau de travail" de Colette, au cours du tournage du documentaire dans lequel je l’ai présentée, pour La Cinquième !
Entretien accordé à Lire, mai 2004
"Colette ? Le style et la créativité ! Depuis que j'ai lu Colette, je ne peux plus m'en passer : je viens d'adapter la Vagabonde pour France Culture. Elle a un style fabuleux, à rapprocher du maniérisme d'Arcimboldo ! J'admire le regard païen, juste, enivré de Colette sur la nature : elle me fait penser aux paysagistes qui ont essayé de retranscrire ce qu'ils voyaient.
La vie de Colette ? Je m'en fous ! La vie de l'artiste ne m'intéresse que si quelque chose transparaît dans son œuvre. Le côté anecdotique - Colette est égoïste, Colette est une mauvaise mère - ce n'est pas le problème : je cherche quelqu'un qui me guide dans ma vie artistique, pas un directeur de conscience. Je revendique son héritage stylistique : en ce sens, j'ai une tendresse quasi filiale pour Colette.
Pour moi, Colette représente la libération de la créativité plus que la libération de la femme, même si elle a choisi une vie qui permettait la libération artistique. Le plus important chez elle, c'est son pouvoir enthousiasmant, ce "quelque chose" qui vous transcende, qui vous donne envie d'écrire."
Extrait
"J’ai acheté Chéri chez un bouquiniste de Montpellier qui vendait aussi des disques d’occasion et des bandes dessinées. C’était un ouvrage à couverture jaune, publié dans la collection "Le Livre de Demain", Librairie Arthème Fayard, Paris, et orné de vingt-deux bois originaux de G. Janniot. Son premier lecteur avait inscrit au crayon de papier, sur la page de faux-titre, La Grand Combe, 29 novembre 1949, et signé Farguier ou Pasquier.
L’image de mon rêve d’alors ressemblait à Léa, une femme vivante, solide, rude et équilibrée qui aurait été capable de me rattacher au sol. Personne ne m’avait enseigné l’existence de Léa, elle est évidemment un idéal commun à toutes les jeunes filles qui ont besoin d’une ancre et d’un miroir pour se voir, plus tard, quand tout cela sera passé, fortes, germées, avec une carapace solide pour supporter l’émotion de vivre.
Il y eut d’autres rencontres avec Colette. D’abord la série d’entretiens qu’elle accorda à André Parinaud en 1948 et dont une amie me fit cadeau sous forme de cassettes. L’accent et la voix de Colette m’effrayèrent, j’avais peur qu’on ne les trouve ridicules, je ne voulais pas qu’on se moque d’elle, j’étais désemparée. Ensuite, j’ai acquis les trois volumes de la Pléiade, qui sont bien loin de constituer une oeuvre complète mais qui rassemblent au moins ses titres les plus connus. Je lisais, mon carnet de notes à côté de moi, je relevais les citations que j’aimais, qui me surprenaient, que j’avais envie de piller. Dans Le Jardin Clos, par exemple, ces roseaux pelucheux comme des dos d’oursons, ils ne sont pas de moi. Ils me sont venus de Colette (elle commit cet alexandrin : « … j’ai pour les jardins clos un amour indiscret. ») C’est elle aussi qui m’enseigna les saisons des amours des chats, que j’ignorais, bien que leurs miaulements m’aient souvent réveillée la nuit, mais je ne me souvenais plus exactement quand. Je relevais même les coquilles parce que j’aurais voulu que les livres de Colette soient parfaits jusque dans leur fabrication. C’est à peu près vers cette époque que Jemia Le Clézio m’a demandé si j’avais envie d’écrire un essai.
Je ne sais plus exactement comment j’ai eu l’idée de parler des images du corps dans l’oeuvre de Colette et, plus précisément, des métaphores botaniques et zoologiques du corps. Je me souviens toutefois que l’idée de relever dans l’oeuvre les occurrences des noms de plantes m’enchanta. J’ai le goût des listes, des mémentos, des dictionnaires, des index, de ce qui est rangé, ce qui se classe selon un ordre alphabétique, thématique voire mathématique. En 1994, j’ai complété ma bibliographie de Colette, mais je n’ai pu réunir tous ses ouvrages. Broderie ancienne, par exemple, qui figure au catalogue d’un bouquiniste d’avant-guerre, m’est inconnu. En 1995, deux ou trois volumes de correspondance ont paru, qui ont éclairé l’oeuvre.
Je n’ai demandé l’aide d’aucun ordinateur qui aurait pu me fournir, en quelques secondes, le nombre d’occurrences du réséda ou du palissandre. Non, au crayon de papier, j’ai tracé une flèche, un cercle, une mouette, une croix dans la marge de mes livres, chaque fois que je rencontrais le nom d’une plante ou d’un animal. Au début, je me souviens que je cochais thé et café avec obstination. Thé et café apparaissent des centaines de fois dans les Claudine où l’on passe son temps dans les réunions mondaines.
Ensuite, j’ai reporté sur des fiches bristol, soigneusement séparées par des onglets alphabétiques, les milliers de citations que j’avais relevées. Si les animaux de Colette étaient des bêtes communes, les plantes, leur nombre et leur luxuriance me déroutèrent. Je ne connaissais pas le gloxinia, le mantelet des dames, l’Ave Maria ou le fameux rosier Cuisse-de-nymphe-émue. J’ai pensé qu’il fallait avant tout classer les plantes par famille (les Amaryllidacées, les Solanées, les Rosacées, etc.), que je ne tirerais aucune conclusion de l’étude de quelques individus isolés, que les groupements faciliteraient mon travail.
Le Professeur Jarry, mycologue, parasitologue, et directeur du Jardin des Plantes de Montpellier, m’a accordé un rendez-vous. Un samedi matin, munie de ma boîte à fiches, je lui ai exposé mon projet. Il feuilletait ma collection de bristols en hochant la tête. Le cotonnier nous posa un problème, le henné également. Le Professeur Jarry me fit toutefois remarquer que la noix de galle n’est pas un fruit sec. Denis Morisot, chercheur, consulta des catalogues pour savoir si la Rose-Chou est un cultivar ou un canular.
Plus tard, Colline Faure-Poirée m’offrit Le Livre des Subtilités des Créatures divines d’Hildegarde de Bingen pour que je découvre, dans les vertus des plantes et leur vocation paradisiaque, un lien éventuel avec les sources païennes de Colette. Jacques Bens me conseilla vivement de consulter la Flore de Bonnier, celle de Fournier. Il me confia même un petit livre de Marie Gevers, intitulé L’Herbier légendaire et publié aux Editions Stock en 1949. Selon les données du calendrier qui clôt l’ouvrage, chacun d’entre nous posséderait deux fleurs porte-bonheur. La première est dédiée au Saint-Patron dont nous portons le prénom, la seconde est celle de notre jour de naissance. Ainsi, d’après L’Herbier légendaire, Colette (je retiens uniquement son pseudonyme-patronyme) aurait vécu sous la protection du Narcissus pseudonarcissus ou Faux Narcisse et, puisqu’elle était née un 28 janvier, aurait eu pour marraine la Bellis perennis, c’est-à-dire la pâquerette. De son côté, Sylvie Hamel me décrivit, par téléphone, les feuilles de l’aristoloche qui sont, dit-elle, en forme de coeur et mesurent la moitié d’une main.
J’ai reçu les conseils, accepté les mains secourables, mais l’oeuvre de Colette est réellement un feuillage inextricable, un bas taillis touffu où l’on n’entre que seule. Elle fourmille, elle bourdonne de centaines de cris d’animaux. On y moissonne tous les fruits, toutes les fleurs y ont été semées, on ne doit même pas s’étonner de rencontrer, au détour d’une page, un crocodile adolescent, un mégathérium ou un marcassin.
C’est pourquoi Comme une Flore et Comme un Zoo sont des ouvrages débordants et surpris par la foison de la matière. Je souhaite qu’il en jaillisse une collection d’images qui paraîtront inépuisables, dévorantes et enivrantes de sensations. Choisies dans l’oeuvre d’un écrivain tellement sensuel et remuant, toutes se mêlent, se pénètrent, marient les trois règnes, saturent la page au point qu’il est parfois impossible, au bout du compte, de déceler leur origine première. Je souhaite que ces images révèlent leur richesse commune et leur communion.
Colette savait manier les caractères les plus intimes des plantes et des animaux, le vivant devenait un véritable générateur de métaphores. J’ai essayé de démonter quelques-uns de ses subtils mécanismes de construction. Quoiqu’il en soit, cet essai peut se feuilleter comme un album de timbres classés par thèmes, comme un herbier, comme une liasse de planches zoologiques. Il signe mon approche du corps par l’imagier, du corps dissocié mais flamboyant, anarchique et enchevêtré, celui qu’on fouille aux ciseaux, au risque de le faire disparaître sous la profusion des détails. Profusion était sans doute le mot d’ordre de Colette. En témoignent ces images innombrables, explosives et passagères que j’ai recueillies.
Je n’ai pas tenté de reconstituer le corps humain avec les pièces du puzzle découpées par Colette, j’ai simplement tâché de reconnaître, en les distinguant, les éléments qui le composent. Le miracle de Colette consiste en une clarté perpétuelle. Qu’une femme ressemble à une sauterelle, l’une de ces sauterelles qui ont une tête de cheval mecklembourgeois, n’a rien d’obscur. Qu’un jeune garçon aie des yeux pelucheux comme la fleur de l’ageratum n’a rien d’hermétique. Les femmes, les hommes, les plantes et les bêtes de Colette vivent dans une harmonie formidable et toutes leurs forces se rejoignent spontanément pour se répondre et s’associer.
Comme Giuseppe Arcimboldo peignit, d'iris et de merises, l'œil du Printemps, de noix et d'une nèfle, la figure de l'Automne, enfin de blé, de joncs, de châtaignes et de mûres, les autres Saisons, Colette a peint Claudine, Annie et Renaud et Bel-Gazou. Je ne m'en suis pas aperçue tout de suite. Je n'ai pas immédiatement reconnu, dans les tableaux de Colette, la « mosaïque florale » d'Arcimboldo, dont parle André Pieyre de Mandiargues. Il a fallu qu'un portrait, celui de Bel-Gazou, dans les Heures longues, m'étonne au point d'avoir envie de le redessiner pour m'imaginer mieux cette drôle de déesse païenne : « Bel-Gazou, fruit de la terre limousine ! Quatre étés, trois hivers l'ont peinte aux couleurs de ce pays. Elle est sombre et vernissée comme une pomme d'octobre, comme une jarre de terre cuite, coiffée d'une courte et raide chevelure en soie de maïs, et dans ses yeux, ni verts, ni gris, ni marron joue, marron, vert, gris, le reflet de la châtaigne, du tronc argenté, de la source ombragée... »
Le sacrifice d’une chevelure ouvre Claudine à Paris : « ... j'ai un gros chagrin rageur à mirer dans deux glaces cette nuque blanche et amincie sous les petits cheveux raides et qui ne se décident que lentement à spiraler, comme les cosses des graines de balsamines qui, après avoir lâché leur semence, se roulent petit à petit en colimaçon et sèchent là. » Bien des écrivains, des hommes, s’étaient vainement attachés à la description des petits cheveux frisottants de la nuque, aux raisons de leur incroyable séduction. Il suffisait de connaître, pour toucher au plus subtil, le comportement explosif des cosses de balsamine.
La main courte et dure de Colette, sa main de jardinière qui écrivait, était maniériste et faiseuse de merveilles. Je ne vois pas de différence entre un personnage de Colette où « l'œil se trouve invité à décomposer et à reconstruire l'image totale » et L’Homme-Potager, la Flora ou encore Rodolphe, peint par Arcimboldo, ainsi commenté par André Pieyre de Mandiargues : « Comme il nous regarde, par la mûre de sa prunelle droite et par la cerise noire de la gauche, sous les cosses de pois et de fèves des sourcils, sous le melon du front, au-dessus de la pêche et de la pomme des joues, de la poire du nez, des noisettes des moustaches, de la bogue piquante du menton, il est doué d'un si majestueux éclat que nul portrait royal n'a de majesté en comparaison de ce portrait-là. »
Dans Le Fanal bleu, Colette demande : « Quoi de nouveau dans la ville ? » Une jeune femme lui répond : « Que la frange va se reporter. Toutes en Lautrec ! Vous serez contente Madame Colette ! » Et Colette : « Je lui fis l'œil torve du vieux lutteur, et lui versai quelques axiomes, qui me sont chers, touchant la chevelure comparée au feuillage, le visage féminin assimilé au fruit... »
Colette a fendu la langue du bouledogue comme un pétale d'iris, la chauve-souris a le ventre en figue, le chaton léché est hérissé comme un chardon, les femmes portent des cous en fût de bouleau, la bouche comme l'intérieur d'une cerise mordue et les bras dodus comme la criste-marine. Les roses, elles, ont un menton par quoi on les soulève, il y a des houppes sous les aisselles des sureaux, toutes les pensées ont la barbe carrée d'Henri VIII. Quant au bégonia, il rappelle aussi bien la langue pendante d'un chien haletant que les joues fardées d'une comédienne.
Comme un herbier est le court inventaire de mes bonheurs de lectrice. Colette a remplacé le dictionnaire analogique, le dictionnaire des synonymes, celui des rimes, celui des métaphores et de la rhétorique par des herbiers d’enfance et des ouvrages de pomologie. Comme un peintre qui débute, j'ai étudié sa technique. Surprise, je l'ai copiée. J’ai regardé travailler Colette auprès de sa « Grande Pomologie, des Trochilidés de Lesson, des Roses signées Redouté, de l'Herbier de l'amateur par Lemaire, de volumes botaniques éclatants et dépareillés », toujours à portée de sa main.
Comme un herbier n'est pas un guide ni une parodie de science végétale, mais les carnets de travail de Colette tels que je les ai rêvés. J'ai simplement réinventé ses notes, regroupé ses comparaisons préférées (les fesses en pommes, les mamelons en raisin), ses tics (les cheveux couleur de blé mûr), ses trouvailles (la tige du pavot poilue comme un marcassin), ses répétitions (le visage d'Annie en forme d'aveline mûre, celui de Claudine, aux yeux havane.)
Si j’ai désiré que cette anthologie ne concerne que les images du corps, c’est pour toucher au plus près la peau humaine, mieux estimer un sein parfait comme une demi-pomme."
Humanité Dimanche , 6 mars 1997
Colette. Comme une flore, comme un zoo
Jeune et prolixe écrivain, Régine Detambel est grande lectrice aussi. Elle offre ici un herbier et un bestiaire très particuliers…
Je suis ravie de vous informer que mon nouveau site web est maintenant en ligne !
www.regine-detambel.com
J’espère que vous apprécierez cette nouvelle expérience de navigation.
Merci de votre attention et à très bientôt !
Chaleureusement,
Régine Detambel