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Sur l'aile
Régine Detambel
Sur l'aile
Mercure de France

Date de parution : 2010
ISBN : 2715230400
14 €
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Dit par l'auteur
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L'avis de l'éditeur
Le jour où Raphaël découvre sous le toit de sa maison les nids de centaines de pigeons aux ailes argentées, sa vie bascule. Veuf et inconsolable, il projetait de se suicider depuis des années : les pigeons vont le sauver. La douceur du duvet, la palpitation vitale des petits corps fragiles opèrent sur lui une fascination magique. Lorsque Lila, sa fille, décide de renouer avec lui, elle trouve un ermite qui vit dans un colombier et dont la maison est une ruine… Elle ira de surprise en surprise.
Avec un style inimitable, où le réalisme et l’onirisme se mêlent étrangement, Régine Detambel tisse une histoire singulière et campe des personnages atypiques et très attachants.

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Un extrait
"Raphaël eut encore la force de lever les mains vers son visage. Quelque chose gênait sa mort. C’était un courant d’air. Il reconnut que les carreaux de la fenêtre étaient cassés. Il était resté absent quatre ans. Il était rentré la veille du jour de neige. Il était en train de se pendre, au lendemain de ce jour de neige, et le froid empêchait son mourir de prendre ses aises. Il avait manqué à la maison plusieurs années. Il n’y avait plus ni eau ni électricité. Il faisait très froid et les vitres étaient brisées. Un froid de loup. Vous avez répété votre numéro chaque jour. Comment imaginer qu’il vous faille maintenant abandonner la corde qui vous pend, comme tant de toreros qui ont fui la corne du taureau et vomi de peur sur le sable de l’arène ? Inadmissible. Qu’y a-t-il de plus brave qu’un homme heureux en plein mort ?
Le froid s’intensifiait. Le vent souffla. Il sentit qu’on tentait d’attirer son attention. D’abord il crut que c’était la neige. Il crut que la neige entrait par un trou du toit.
Des tuiles étaient cassées.

En fait de neige, en fait de Saint-Esprit, c’est la nouveauté continue du duvet qui vole.
Des pigeons.
A l’aplomb de Raphaël, dans chaque tuile au-dessus de la poutre, des centaines d’oiseaux dont le dessous des ailes est argenté.
Des nids de pigeons. Quatre ans de couvées. Quelque chose comme deux cents bêtes.
Des pigeons bleus, si loin de lui dans l’échelle des êtres et tellement plus vivants.

À ce moment-là, le présent revient et le réel reprend ses droits. Raphaël desserre la corde. Il saute sur le lit comme s’il venait tout simplement de passer un quart d’heure à se mortifier par pure hygiène corporelle et spirituelle. L’extrémité de la corde caresse l’édredon en tournant comme un pendule. Et lorsque Raphaël, pour la décrocher, escalade la poutre comme un pont suspendu, ce sont des battements d’ailes ininterrompus.

Raphaël s’agenouille sur la poutre, sous le toit, au milieu du champ de pigeons et approche son visage pour mieux sentir leur parfum. L’espace d’un instant, le poids de toutes ses années sans joie le fait s’incliner vers la terre ; il tremble, comprenant pour la première fois combien il a été malheureux.
L’instant d’après, il se sent libéré. C’est terminé et pour toujours, ça n’a jamais existé. Des larmes de gratitude ruissellent sur son visage. Chaque fois qu’il respire, le duvet des pigeons emplit ses poumons et le fait tousser. Il a changé et il le sait. Il y a dans cette pluie de plumes une splendeur qui sèche le malheur presque instantanément.

Le lendemain matin, Raphaël emballa sa corde dans du papier kraft et la jeta sous le lit, puis il retourna au travail. Ce premier monde était une forme sans forme une pile confuse un mélange difforme d’abîmes un abîme un tas mal entassé. Heureusement, au retour, les pigeons rabattirent le ciel sur la terre et il put fermer les yeux.
Aussitôt qu’il s’approchait du colombier improvisé dans les combles et qu’il prenait dans sa main un oiseau, il avait le sentiment physique d’une voile qui se gonfle. Désormais Raphaël ne voyait pas plus son passé que s’il avait appartenu à un monde infrarouge et son oreille n’entendait rien que les roucoulements, ici et maintenant. Les roucoulis, le frottis de millions de plumules contre des millions de plumules, le bain revigorant du pigeon dans l’air, l’extraordinaire pouvoir de récupération que stimulent ses coups d’ailes. Et c’est tout.

Jusque-là je m’étais fait croire que j’aimais les voyages, l’avion sur fond d’azur, être contre le hublot. Mais tu trimballes toujours ton écorce avec toi, et même devant le pic le plus extraordinaire, tu es là tout pareil, avec tes manières habituelles d’éprouver le chaud et le froid, comme à la maison, et tout ça n’est que poudre aux yeux. Mais l’absence du pigeon de son casier, c’est un espace vide tout d’un coup, ça c’est du voyage. Tu n’es plus là, tu es ailleurs, le pigeon a emporté ton âme et te fait voir du pays. Les pigeons reviennent toujours ou bien ils ne reviennent pas. Tu en élèves cinq cents pour ne pas en attendre un seul. Les pigeons rythment ma vie. Leur vol, leur chant, leurs accouplements, leurs naissances, leur mort. C’est bon à regarder. Avec les rythmes du jour et de la nuit sous mon toit, les pontes et l’heure du grain. Je ne vis pas dans un lieu, je vis dans un temps qui bat. C’est à cette seule condition que la vie m’est vivable. Viens là, viens, viens, ma petite ouvreuse d’horizons.

Espérant étouffer ses pensées conscientes dans le bruit des ailes et recréer le vacarme assourdissant d’un océan, Raphaël installa son matelas dans le colombier. La nuit, ses oreilles et sa peau restaient constamment ouvertes aux bruits, aux piaillements, aux lumières intenses de la lune dans les plumes d’un bleu d’argent. Aux vibrations, aux battements, aux volètements, aux crissements. Ses oreilles et sa peau ne refusaient aucun signe vibratile venu des pigeons. Raphaël prit l’habitude des folles oscillations autour de lui, comme s’il était lui-même le carrefour autour de quoi tourbillonnaient les oiseaux, le centre à partir de quoi tout bifurque, le pivot même du pigeonnier. Palpitation incessante, déployée comme des ailes. Les pigeons dans leur casier font battre le cœur par leur art de voler vite. Et Raphaël, cette petite constellation humaine brune, est maintenant si lié au monde gris et bleu, ils sont tous deux si intimement unis d’une même existence que rien ne se passe dans le monde des plumes grises qui n’ait sa solution ou sa réponse dans le monde des cheveux bruns. Et inversement.

Un colombier est une immense réserve de calme, de consentement confiant et d’accord.
Entre les attaques, Raphaël montait voir ses pigeons, il montait sur un pigeon, il s’asseyait sur une aile, il s’enfonçait dans le duvet, il décollait. Il suffisait qu’il y ait un pigeon sur lequel se poser pour traverser l’abîme. Tout ce qu’on demande, c’est la levée d’écrou. On devrait apprendre à vivre davantage dans les colombiers. Quand on y dort, les pigeons deviennent vos frères de rêve. Un frère de rêve a le don d’entrer dans vos rêves, comme on irait en visite, et de participer à tout ce qui s’y passe. Il peut même en infléchir le déroulement. Les pigeons avaient secouru Raphaël attaqué par le loup rouge. Les pigeons avaient étranglé le fauve qui s’était évanoui en fumée et Raphaël avait été délivré du cauchemar pour toujours. Raphaël se calme aux plumes des pigeons. S’en frotte le visage, c’est si doux. Il éternue. C’est si doux.
Il est comme Elie au mont Horeb : pour ce simple souffle sur la joue, tu oublieras ton père et ta mère.
Tu oublieras ta fille.
Tu oublieras toutes les femmes."






Martha Ryser-Spiess, Le Temps (Suisse), 8 mai 2010.
Le choix du libraire
"Comment résister au titre court de ce petit roman inclassable ? Poésie pure, chroniques, récit familial ou poétique, quel rayon pourrait accueillir Sur l'aile ? Peut-être bien la musique, après tout ! La langue chante des retrouvailles : Raphaël, veuf inconsolable qui n'a pas eu la force d'élever sa petite fille, vit désormais dans sa tour de plumes et Lila, sa fille contorsionniste, revient après la mort de son époux funambule, tombé alors qu'il allait relier les deux tours du World Trade Center, le 11 septembre 2001. Elle apprend à apprivoiser ce petit monde noyé dans la campagne où Alban, Charlotte et Cargo deviennent des personnages dont l'importance grandit alors que se développe l'intrigue. Et si Sur l'aile était un polar poétique ? Le décor évoque irrésistiblement cette célèbre chanson de Bobbie Gentry, "Ode to Billie Joe", si parfaitement adaptée en français sous le titre Marie-Jeanne. Je ne raconterai pas la fin ; d'ailleurs j'ai illico repris ma lecture en reculant et en savourant les couplets dans le désordre !"



Joseph Macé-Scarron,  Jeux d'épreuves (France Culture), 15 mai 2010.
Jeux d'épreuves
Sur l'aile a été chroniqué dans l'émission Jeux d'épreuves, sur France Culture.



Xavier Houssin, Le Monde des Livres, 4 juin 2010.
Sur l'aile et 50 Histoires fraîches de Régine Detambel : vies en suspens
C'en est fini de la douleur pour Régine Detambel. Enfin presque. De cette douleur de l'enfance et de l'adolescence qui l'a jetée si tôt dans l'écriture. Son seul moyen de s'en sortir alors, de se sauver d'une peau sans cesse écorchée. De s'arracher au chagrin de l'indifférence et aux deuils impossibles à mener. Fini. Enfin peut-être... Car on pressent encore, par endroits, de ces meurtrissures sourdes et pas tout à fait apaisées. "J'ai toujours eu pour moi, dit-elle, comme une heureuse absence de mémoire." Des souvenirs négatifs plutôt, à partir desquels elle a développé ses livres. Dieu sait s'il y en a. Depuis ses trois premiers textes, sortis en 1990 chez Julliard (L'Amputation, L'Orchestre et la Semeuse et La Modéliste), elle a fait paraître une vingtaine de fictions, six "formes brèves", autant d'essais, plus les recueils de poèmes, les ouvrages pour la jeunesse... A l'inverse de ceux qui s'en vont exhumant le passé, l'oeuvre de Régine Detambel est faite de mots enfouissants. De douceur de draps tièdes, de fièvre vaincue et de peurs étouffées. "Les livres nous soignent, insiste-t-elle. Les métaphores nous réparent, nous recousent."

Sur l'aile, son dernier roman, se trouve ainsi être la narration de cette forme étrange de convalescence. Après la mort de sa femme, Raphaël avait ruminé l'idée de son suicide. Rien ne le rattachait à l'existence. Pas même Lila, sa fille de 4 ans. Il était donc parti chercher de par le monde la corde pour se pendre, l'avait trouvée, idéale, parfaite, et se l'était bouclée à la poutre de sa chambre. Mais au grenier, au-dessus, en singulier miracle, le bruissement inattendu de toute une colonie de pigeons avait emporté son désir d'en finir. "Raphaël, écrit Régine Detambel, se calme aux plumes des pigeons. S'en frotte le visage, c'est si doux. Il éternue. C'est si doux. Il est comme Elie au mont Horeb : pour ce simple souffle sur la joue, tu oublieras ton père et ta mère. Tu oublieras ta fille. Tu oublieras toutes les femmes." Quand Lila, bien plus tard, retrouvera son père, elle le découvrira, apaisé, partageant le colombier de "ses frères de rêve". Il suffit d'un oiseau sur lequel se poser pour traverser l'abîme...

Sur l'aile est une fable troublante qui mêle le sens de la vie et la création littéraire. "On peut se faire croire, explique Régine Detambel, qu'il existe des paroles qui tombent du ciel, qui viennent d'ailleurs, même si on les écrit soi-même. Raphaël confie ses poèmes aux pigeons. S'ils ne lui reviennent pas, c'est qu'ils n'ont pas été assez forts pour résister aux intempéries, aux pièges, à l'égarement..." Chapitres en miroir, écriture à facettes. "Ce livre a été très nouveau pour moi, continue-t-elle. Il est 'monté' en quelque sorte. J'avais étudié l'été dernier le montage de cinéma et je me suis amusée ici à créer des chocs, des ellipses..."

On retrouve cette manière de séquences liées dans 50 histoires fraîches, le recueil de textes courts qu'elle publie simultanément chez Gallimard. Des arrêts sur image laissant les instants de la vie en suspens. Chacune de ces nouvelles cueille un personnage au creux d'un vacillement. "Cela aurait d'ailleurs pu s'appeler 'Vacillations', dit Régine Detambel. La fraîcheur de ces histoires, c'est le moment de charnière, de bascule entre deux états. Naïveté, dans le sens de nativité. Aveuglement. On se demande quelle direction il faut prendre : ce qui se passe vaut-il vraiment le coup ?"

Pensées vagabondes le long de trajets en voiture ou en train, kilos en trop et courses dans les magasins. L'inquiétante étrangeté se niche au détour des cases de nos improbables marelles. "N'importe quel moment qui semble insignifiant peut se révéler, après-coup, une étape importante de l'existence. J'ai voulu parler de ce déséquilibre. Car rien ne ressemble à l'idée que l'on s'en fait. Comment réagit-on face à ce qui nous apparaît dangereux, grotesque ou absurde ?"

Toutes ces Histoires se lisent dans la trace et l'impression des autres. "Les grands tournants viennent toujours du dehors, écrit Régine Detambel dans la septième de ces petites pièces de puzzle, solitaires et solidaires. Ils viennent du ciel ou des arbres ou de certains lieux, de certains moments qui nous poussent ou plutôt nous inclinent. On sent comme la pression d'une main sur l'épaule, d'une main invisible qui nous incite à changer de direction. Alors nos pas, notre regard et la pensée qui le suit, se mettent à virer de bord." Le courage simple de ne plus souffrir. De se sentir vivant.

SUR L'AILE de Régine Detambel. Mercure de France, 144 p., 14 €.
50 HISTOIRES FRAÎCHES. Gallimard, 226 p., 17,90 €.



Christine Ferniot, Lire, juin 2010.
Les messagers de l’espoir
 
Raphaël vient de perdre sa femme. Desespéré, il cherche à en finir, jusqu’au moment où des pigeons vont redonner un sens à sa vie.
Vingt-cinq ans après ses études de kinésitherapie, Régine Detambel décide brusquement de retourner à l’université et d’entamer un master de lettres modernes. Après avoir longtemps travaillé sur les corps des hommes et des femmes, les avoir aidés à se reconstruire, à se relever, elle désire conquérir l’écriture autrement, en finir avec l’autobiographie qu’elle cultive dans ses textes depuis une vingtaine d’années et entrer dans ce qu’elle appelle une «farandole encyclopédique». «Faire table rase» est d’ailleurs une expression qu’elle emploie volontiers sans jamais jouer les crâneuses. Ses deux nouvelles parutions, Sur l’aile et 50 histoires fraîches, sont bien l’expression d’un tournant dans sa vie littéraire : ni tout à fait un roman, ni vraiment des nouvelles.
 
Sur l’aile commence avec le départ de Raphaël. Sa femme vient de mourir. Il n’a plus goût à la vie et décide de tout quitter, abandonnant Lila, son enfant de quatre ans, à une famille d’accueil. Raphaël croit ainsi préserver la fillette en s’éloignant d’elle comme s’il était toxique. Décidé à se pendre à la plus haute poutre de la maison familiale, il découvre que le grenier est devenu un immense colombier colonisé par des pigeons voyageurs. En touchant les plumes de ces corps fragiles, Raphaël est sauvé : il consacrera sa vie à cette volière géante, deviendra colombophile averti. Mélange de réalisme et d’onirisme, cette fiction est une merveille poétique et reprend les thèmes qui sont chers à l’auteur : la puissance tactile, la force des lieux et du temps qui passe, la puissance des rêves, les vies qui se brisent… ou bifurquent. Le choix du pigeon voyageur, porteur de dépêches, ne volant que pour rentrer chez lui, devient peu à peu une métaphore de l’écriture. Le pigeonnier, lieu rêvé, est également celui du perpétuel éveil. Rédigé d’une traite — après une longue maturation —, ce livre est aussi aérien que les ailes de ses oiseaux, et funambulesque, à l’instar de Raphaël qui se met à revivre en apesanteur. Sur l’aile est aussi un roman sur la passion et l’amour filial maladroit, complexe mais total.
 
L’instant qui remet tout en cause
Parallèlement, Régine Detambel publie un recueil de textes courts qui ne comportent aucun titre mais des numéros, au début de chaque fiction. Pas de chute systématique, mais la volonté d’être là quand la vie bascule, ou vacille. La métaphore de la photo revient souvent, sur le mode de la retouche : «Chaque histoire nourrit la précédente, dit Régine Detambel, sans qu’il soit nécessaire de les lire en continuité, de chercher une organisation stricte. En fait, les saveurs, les situations s’additionnent et se développent.» La «fraîcheur» qu’elle évoque dans le titre est un moment pivot entre deux états : une femme s’arrête devant un miroir et se met à dialoguer avec elle-même, un laveur de carreaux distingue tout à coup l’image de Dieu dans la glace, un vieillard regarde un arbre pousser dans sa maison, et un homme confie ses textes à des pigeons voyageurs qui reviendront (ou ne reviendront pas). L’auteur cherche l’instant de la brûlure, de la prise de conscience, du jaillissement qui remet tout en cause. «Tous les matins, dit-elle, je recommence ma vie comme s’il n’y avait rien derrière.» C’est l’écriture qui lui a donné la clé de cette liberté, le désir de tenter d’autres processus littéraires, d’autres formats. Le déséquilibre ne lui fait pas peur. Régine Detambel veut aujourd’hui transmettre son expérience à ses lecteurs comme elle le fit lorsqu’elle recevait ses patients dans son cabinet de kiné. Elle poursuit ces échanges dans ses rencontres en bibliothèque ou à travers ses essais littéraires. Ainsi, dans son Petit éloge de la peau (Folio) elle évoquait le thème de l’écorchée vive et proposait un voyage épidermique qui allait de la Princesse au petit pois, le conte d’Andersen, aux photos de tatouages et aux démangeaisons. A présent, elle veut «écrire sur l’écriture», mener une «vie de papier» et expliquer à quel point la lecture a des vertus thérapeutiques. De fait, ses deux nouveaux livres ne devraient pas seulement figurer sur toutes les tables des libraires mais également dans les bons manuels de médecin.



Catherine Vigourt, auteur, le 21 juin 2010.
Dernière publication Un jeune garçon (Stock, 2010)
Sur l'aile

Chère Régine Detambel,
ce matin, je surveillais l'adolescence studieuse en astreinte de baccalauréat. J'avais réservé pour ces quatre heures particulières le régal de vous lire. J'ai plongé dans le duvet de Sur l'aile, qui adoucit et revigore. Je crois que j'ai failli oublier les candidats, portée par l'envol. Et pourtant, où vous nous emmenez avec ce texte si puissant et fin, ce n'est pas à l'extérieur de la vie, mais dans son creux chaud et violent.
Vos personnages ne vont pas me quitter, Raphaël et Lila, Cargo, Charlotte, le jeune homme au pantalon rouge, les cirés jaunes au bord du vide, et ces pigeons du retour permanent qui semblent n'exister qu'en un seul être ravissant. Pourtant, pour tout vous dire, je n'étais pas la mieux disposée des lectrices, mon grand-père, survivant des tranchées, m'ayant raconté des choses ambivalentes sur ceux qu'il appelait les porteurs de désastre. Je vois mieux tout ce que peut soulever leur aile. J'aime aussi comment vous faites sentir un paysage sans le décrire, en rendant palpables ses lignes de force et de douceur.
Ce que vous mettez à la bouche de Raphaël séquence 39 me rejoint profondément.
Votre langue est magnifique, sensuelle, tendue, rythmée, ouverte à notre imaginaire et dérangeante à la fois comme on aime dans les lectures-expériences qui sont les plus belles. Vous tissez bien, et je vais me remettre dans vos fils, vos courbes, vos noeuds, vos torons et votre âme en allant vers les Histoires fraîches.
Je vous souhaite le meilleur.
Catherine Vigourt



Bernard Fournier, de l'Académie Mallarmé, juin 2010.
Sur l'aile

Régine Detambel, c’est d’abord, une écriture, un style, ce qui est remarquable de nos jours. On peut à son propos dire que l’histoire importe peu, puisqu’il y a ce bonheur de la langue. Et pourtant, dans ce livre-ci, le récit se veut des plus oniriques. On pense à Italo Calvino qui avait eu le génie d'imaginer un homme passant sa vie dans les arbres. Avec Régine Detambel, c’est un homme mûr qui décide de vivre avec les pigeons : « On transforme sa main en sciant du bois, en lavant par terre, en retournant la terre. On la transforme aussi en soignant les pigeons ». On reconnaîtra ici un style large et percutant en même temps que l’attachement au corps chez Régine Detambel (Noces de chênes, Petit éloge de la peau, etc.). On est alors proche du poème. Du reste le personnage principal est un poète, rare, mais un poète qui envoie ses poèmes par pigeon voyageur : «  Si le pigeon ne revient pas ou si le papier a souffert du voyage dans son tube porte dépêche, c’est que la poésie n’est pas bonne, puisqu’elle n’a pas su résister à l’épreuve du vent et des nuages, de la pluie et des éperviers. » Voilà une sanction à la Prévert qui donne une furieuse leçon de modestie à l’écrivain. Mais avec Régine Detambel, on est certain de la postérité, ou pour le moins, et c’est déjà beaucoup, du plaisir immédiat qu’elle nous donne à la lecture : « Son visage piquant de barbe dans ce petit soleil du matin est un oursin de lumière ». Gageons que cette aurore soit celle de la poésie.



Christophe Grossi, Le Blog ePagine, 2 juillet 2010.
Sur l'aile
Régine Detambel vient de publier Sur l’aile au Mercure de France, vingt ans après L’Amputation, son premier roman paru chez Julliard (époque Christian Bourgois ; ouvrage épuisé aujourd’hui). Sur l’aile, en revanche, est bien disponible, et en papier, et en numérique ainsi que les 50 histoires fraîches parues au même moment chez Gallimard.

Sur l’aile est une histoire de drôles d’oiseaux : de sédentaires et de nomades. De collectionneurs de colombes et de secrets : de colombophiles. D’endroits où naître, se réfugier, s’extraire du monde tout en tentant de communiquer avec lui, où fuir : de colombiers. De vivants, de morts-vivants, de gens qui se reposent et d’autres qui ne reposeront jamais en paix : de colombariums. Une histoire d’ailes, sur le fil, le filin, la corde : de volières. Une histoire où l’on joue avec la corde, où l’on y danse aussi, une corde qu’on apprend à tresser, une corde qu’on accroche à une poutre, une corde pour se prendre ou regarder le monde d’en haut, de laquelle on tombe, une corde qui sauve la vie ou avec laquelle on joue sa vie à un fil.

C’est une histoire dans laquelle un homme, Raphaël, veuf et père, se prépare à en finir avec la vie. Il fabrique sa corde, vise une poutre, grimpe mais ne se lance pas : il vient de trouver un sens à sa vie. Et ce sens a des plumes, un bec, des ailes. Alors cet homme va s’enticher de pigeons qui voyageront pour lui, qui lui serviront de support de lecture, de matière à poèmes. « Raphaël dit sentencieusement qu’on est grec dans la première partie de sa vie, on veut tout savoir et tout comprendre, on se bagarre avec d’autres types pour savoir qui a raison. Mais on devient chinois quand on vieillit. », écrit l’auteur. Sa sagesse à Raphaël est d’avoir réussi à se retirer du monde (ou presque), et de vivre en ermite dans sa volière, couvant ses petits, là où désormais il note des phrases sur des pages arrachées d’un carnet qu’il enroule à la patte de pigeons voyageurs qui reviendront (les phrases et les oiseaux). Mais dans quel état ? Avant cela, sa fille, Lila, s’est envolée sans fil à la patte, croyait-elle. Dans les airs, elle a dansé pour celui-là dont elle est tombée amoureuse avant que lui-même ne tombe à son tour (du ciel). Le père l’a oubliée et sa fille a tenté de faire de même : l’oublier, perdre jusqu’à son nom, jusqu’à sa langue mais c’est son mari qu’elle perdra. Match nul, balle au centre. Comme les pigeons voyageurs, elle reviendra dans la maison du père qui n’est plus qu’un arbre. Et elle restera là en compagnie de Raphaël, Alban, Charlotte et Cargo, le temps qu’il faudra, le temps du drame.

Sur l’aile est aussi une histoire de corps, de colombes, d’hommes et de femmes à qui on joue un mauvais tour, qui vont s’élever, se croiser et tomber. Mais la folie guette chacun des personnages – et peu d’issue favorable pour l’amour ; pour le sexe : un peu. En revanche, on passera sa vie à chérir la columba, à retrouver ce qui reste de la part d’enfance (odeurs, contes, « l’autre monde ») quand elle n’est pas violentée et délabrée (comme la mémoire).

C’est une histoire d’ailes écrite par un écrivain qui aime les écritures à contraintes et les mots, qui aime jouer avec eux. Alors nous ne serons pas étonnés de voir autant de « l » dans les prénoms des personnages, que ce soit Lila (variante de Leïla, anagramme presque parfait de « aile »), Raph-aile (Rapha-El : Dieu guérit), Alban le blanc ou Charlotte la forte. Tous, sauf celui qu’on nommera Cargo – à cause du culte de cargo ou bien parce qu’il a du plomb dans l’aile ou encore parce qu’il ne veut pas d’elle, de Lila ? On ne dira rien de plus de sa folie, de ce qui relie en creux les personnages entre eux. On peut juste ajouter qu’on retrouve ici la poésie primale de Régine Detambel, une phrase à la fois tendue et folle qui vient puiser dans les quatre éléments notre part d’animalité, de rêverie, d’enfance (entre imaginaire, cassure et violence).

À vous de vous lancer maintenant vers ces 69 chapitres et cette histoire qui se lit à-tire-d’aile. Qu’on peut feuilleter en ligne sur ePagine. Qu’on peut télécharger au même endroit ou chez les libraires partenaires (les premières pages sont gratuites). Qu’on peut partager (en PDF ou en ePub) avec d’autres colombophiles ou amateurs de Régine Detambailes. Et après… ? Eh bien, ruez-vous sur ses 50 histoires fraîches. C’est de saison, non ?


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