Formes brèves

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Blasons d'un corps enfantin
Régine Detambel
Blasons d'un corps enfantin
Fata Morgana

Date de parution : 2000
ISBN : 2-85194-515-7
Format : 11 x 21 cm
40 pages

11 €
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Dit par l'auteur
Présentation Presse Nota Bene

Blasons d'un corps enfantin est paru en 2000 aux éditions Fata Morgana.

L'avis de l'éditeur
Ce récit paru à nos éditions en 2000, forme un dyptique tant du point de vue de la forme que de celui des thèmes abordés avec Les enfants se défont par l’oreille. Jeunesse et souffrance s’y entremêlent et l’orgueil têtu de l’enfance y est mis à l’épreuve par le souvenir lancinant et délicieux d’un jeune corps endolori. Ces vingt-quatre blasons – parmi lesquels l’éraflure, l’ampoule, la bosse ou le bleu –, considérés à la fois comme boucliers et comme parures, se présentent comme la manière empirique de rencontrer «l’angle rugueux du monde» et de garder en sa chair le souvenir de leçons impitoyables. Ainsi est «fondé» l’enfant par l’univers, il est « façonné », prend corps.

Présentation
"Quand l’enfant tombe ou se cogne, chacune de ses rencontres blessantes avec l’angle rugueux du monde porte un nom. Et qui voudrait dresser une liste de l’ensemble de ces confrontations et de ces retrouvailles courrait le risque heureux de composer une litanie, les termes liés d’un très long charme. 
Si j’ai utilisé le terme de blason, c’est que l’étymologie lui donna d’abord le sens de bouclier. Les tortues seules ont reçu en naissant une sorte de domicile durable, écrivait Buffon. Donner la description de cet écu qui tient lieu de sauvegarde et de vivante protection à l’enfant est le but que j’ai souhaité atteindre. 
Tout ce qui touche au bouclier tremblant de l’enfant, tout ce qui le meurtrit réellement, ses souffrances, son aplomb, ses bondissements malheureux, tous ses gestes déchirants, j’ai désiré les rejouer. Le piètre malheur de l’égratignure, le petit trou en forme d’étoile qui constitue l’écorchure, la figure virtuose et mathématique de l’éraflure, la trajectoire accidentelle de la coupure, l’ampoule qui est une hutte de peau et le bouton de moustique érectile et délicieux, la fente vive de la gerçure, le bleu, la flamboyance de la bosse, le chuintement de la morsure, la brûlure et sa paille de fer, la langue mordue, la seringue, l’aphte, l’écharde, le pus, les points de suture, le coup de soleil, le durillon et le bouton de fièvre, sont le lot rude et perçant de toutes les enfances. Ils nous ont fondés, ont gravé, pour chacun d’entre nous, leur histoire dans notre peau, dans les muqueuses de nos lèvres, dans les étages superficiels et profonds de notre chair, et nous ont lentement façonnés puis passionnés jusqu’à la jouissance." R.D.

Extrait
L'éraflure ou l’impuissance d’être flèche
L’enfant a l’appétit des brisants et des coupants. Les sparadraps, la gaze, le coton forment son linge intime de jeune fille. Et comme une jeune fille, en effet, il est possible que sa peau crie sans cesse aux écorces, au crépi, à la ronce et aux barbelés, saisis-moi au passage, ne me laisse pas au rebut. Et à l’épingle, au clou, au bois qui n’est pas limé, j’ai besoin d’attirer l’attention avant de retourner en poussière, si tu me faisais cadeau de temps en temps de quelque chose de coloré, en soie, même seulement un petit carré, tu me ferais un honneur particulièrement remarquable. Voilà pourquoi l’enfant porte une peau radieuse et absurde de papillon, avec ces mêmes taches et ces mêmes macules que l’œil peu exercé prendra pour une irritation illogique et momentanée.
La plus virtuose des figures qui puisse se voir sur la peau d’un enfant est l’éraflure. Marcher dans de hautes herbes sèches suffit en général pour que surgissent sur le mollet, comme d’un mur à décorer, de larges courbes sinueuses et balancées. Mais si l’on y regarde mieux, si l’on tâche du regard à démêler les lignes pour rendre à chaque pointe son ouvrage, alors l’éraflure est toujours une forme seule et dressée.
L’éraflure est un être mathématique. Elle est une ligne active, prenant librement ses ébats, avec une direction et une amplitude. Le long de cette ligne, des points plus profonds, répétitifs, donc plus puissamment colorés, donnent le rythme, mais jamais plus rapide que les battements de jambes d’un nageur.
L’éraflure est toujours grêle et mince, aux bords à peine déchiquetés, elle ne forme pas surface comme l’égratignure, elle n’est presque jamais triple ou quintuple comme la griffure. Elle ne coule pas, à peine si elle suinte, même fraîche. De fait, elle ne se charge jamais, en guérissant, d’une croûte épaisse, cette belle patine des sucs qui va, selon les sangs, jusqu’à l’acajou.
L’éraflure ne se lèche pas. Elle semble une image déjà lointaine, qui n’aurait pas été calculée, filiforme et fragile, sans rien de pulpeux, comme une rafle de raisin, la rêverie légère et fascinée d’une épine qui s’est posée puis retirée d’elle-même, parce qu’elle n’avait ni puissance ni portée, qu’elle était captive et sans espoir d’ascension, bref, dans l’impuissance physique d’être flèche.
Régine Detambel © 



Les blessures d’enfance de Régine Detambel et Jacques Izoard, par René de Ceccatty, Le Monde, 21 juillet 2000

Régine Detambel et Jacques Izoard dessinent à coups de scalpel l'âpre violence des premières années.
Même dans les livres qu'elle ne consacre pas à son enfance, Régine Detambel ne l'abandonne pas tout fait. Elle a centré plusieurs de ses brefs récits aux perceptions de la petite fille qu'elle fut. Sensations précises et violentes qui diffusaient une angoisse, en vertu de cette précision même. Assassinats, enlèvements, morts accidentelles : tels étaient les ingrédients de ses « romans », Le Vélin, La Lune dans le rectangle du patio. Au fond, tous écrits sous le signe du ravissement, de l'incendie. Os, muqueuses, chairs meurtries : tels sont les matériaux du présent recueil de courts textes, qui prolongent une véritable encyclopédie enfantine, commencée par Graveurs d'enfance et Album.
Dans ses livres destinés à la jeunesse, Régine Detambel explore le même terrain. Les enfants y sont menacés, faciles proies de manipulateurs qu'ils déjouent avec leurs armes. Elle décrit avec minutie l'univers parallèle de l'enfance qui n'est pas pour elle un vert paradis : le corps de l'enfant n'a pas de réelle frontière entre l'intérieur et l'extérieur, le plaisir et la souffrance.
Balisé par des avertissements, des menaces et des mots, le corps est un champ d'expérimentation, un paysage, le reflet du monde environnant, un réseau de signes. Entre les choses et les mots, l'expérience : Régine Detambel retrouve ce qui caractérise cet âge, où la découverte du lexique s'accompagne de celle des sensations aiguës. Le corps de l'enfant est toujours en péril d'être ouvert, ensanglanté, privé de sa cohérence adulte.
Les poèmes d'Izoard sont eux aussi habités par l'enfance. Le poète belge a inventé, depuis déjà plusieurs décennies, une syntaxe et un vocabulaire qui parlent de ce temps-là.
Lui, pourtant si près encore de l'enfance dans ses poèmes, croit que la mémoire a enseveli dans une zone de demi-fiction les premières années. Il doute de chacun des souvenirs qui se maintiennent en lui, les soupçonnant d'être le produit de la légende familiale ou de l'alchimie de l'écriture. Les enfances qui se font face dans le coeur d'Izoard sont comme les poussières de 1935 et de 1993 qu'il oppose, comme si elles n'étaient pas faites de la même minuscule matière, comme si la lumière qui s'accrochait à leurs particules était d'un ordre changeant. La poésie est, pour lui, le seul garant de l'unité de sa mémoire et de la persistance des sensations.
Une attention analogue à celle de Régine Detambel le porte aux parties du corps que l'adulte parfois oublie. Ainsi : « Que faire de la lunule du petit ongle du petit doigt dans cette immensité ? L'ignorer supposerait fatale imprudence. » Et Izoard, dans un second recueil, rejoint l'obsession de Régine Detambel pour les petites blessures. Mais il réveille surtout les premiers émois qui détermineront toute sa sensibilité.
On distingue mal chez Izoard, et c'est là sa force, les poèmes d'amour des réminiscences nostalgiques. Voir un ami qui dort et se souvenir de l'enfant que l'on fut, c'est répondre à un même mouvement intérieur qui fait surgir les mots rythmés, suivant le balancement du coeur.



Blasons d'un corps enfantin Page des Libraires, n°64, juin-juillet 2000
"Régine Detambel continue de construire son œuvre avec ce récit original d’une grande finesse qui surprendra et ravira le lecteur…"
 

 

Blasons d'un corps enfantin figure dans les pistes bibliographiques du 14e Printemps des Poètes (5-18 mars 2012) sur le thème « Enfances ».