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Blasons d'un corps masculin
Régine Detambel
Blasons d'un corps masculin
Editions publie.net

Date de parution : 2008
Téléchargeable
PDF écran et eBook (Sony/iPhone)
71 pages

5,50 €
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L'avis de l'éditeur
François Bon, Le corps masculin dans les dents d’écriture de Régine Detambel

Le blason est une tradition de nos formes littéraires, on a tous en mémoire celui de Marot :
Tetin refaict, plus blanc qu’un oeuf,
Tetin de satin blanc tout neuf,
Tetin qui fait honte à la rose,
Tetin plus beau que nulle chose ;
Tetin dur, non pas Tetin, voyre,
Mais petite boule d’Ivoire,
Au milieu duquel est assise
Une fraize ou une cerise,
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gaige qu’il est ainsi.
Tetin donc au petit bout rouge
Tetin qui jamais ne se bouge


Ou bien les jeux plus abstraits de Maurice Scève :
Front apparent, affin qu’on peult mieulx lire
Les loix qu’amour voulut en luy escrire,
O front, tu es une table d’attente
Où ma vie est, et ma mort trespatente.


Mais Régine Detambel, qui a toujours mis le corps au centre de son entreprise littéraire, le retourne de façon dangereuse. Dans une proximité plus haute du corps et de l’écriture, et surtout par ce premier renversement : cette forme où traditionnellement l’homme nomme la femme, dans un système où il est lui-même l’agent dominant, c’est sur lui qu’on le retourne, et littéralement de haut en bas. Detambel commence en haut, et puis descend.
Il y avait ici deux défis pour Régine Retambel. Le premier tient de l’écriture à contraintes, dont elle est familière (et même, si je me souviens bien, correspondante de l’Oulipo...), de se saisir d’une forme ainsi établie, repérée, et affronter avec elle le corps contemporain – l’histoire du corps est un fil comme nombre d’autres.
Le second défi, c’est de basculer dans l’intérieur de cette forme la référence homme/femme : la narratrice ou locutrice assigne comme objet à l’écriture le corps masculin. Et peut-être que la réussite du texte, ou sa part la plus risquée, tient au déterminatif : non pas blasons du corps masculin, mais blasons d’un corps masculin...
Régine Detambel a toujours été à l’intersection de ces deux défis. Longtemps, sur des cahiers ou des carnets disposés à divers endroits de son lieu de vie et de travail (un cabinet de kinésithérapie), l’écriture s’accumulait par fragments, debout, au gré des haltes ou des passages. D’autre part, précisément la kinésithérapie : le corps au centre de l’approche de l’autre, ou en tout cas tout cela du même geste. Quand bien même l’écriture fait cesser toute détermination amont par le temps privé ou le métier : affaire de main, et les textes spécifiques (voir son site www.detambel.com) sur les ateliers d’écriture et leur rapport au corps prouveraient que l’intersection n’est pas lieu neutre.
A lire donc comme expérience de risque : le texte atteint ses frontières, jusqu’au sexe inclus, parce qu’il prend le corps comme totalité, systématique.
Pas un hasard si Régine Detambel vient de publier dans la collection "Folio" un Petit éloge de la peau, ou qu’elle ait récemment préfacé une anthologie de textes de Bernard Noël sur le corps.
Mais à lire justement comme mise en histoire du corps : ce qu’il inscrit d’une société précise, d’usages évidemment selon le temps, et que se donne ici à lire, en creux, la vie ordinaire, celle de nous tous, et le lien à l’autre.
En remerciant Régine Detambel de nous confier, après ses Décousures, ce texte paru en 1995 chez Via Voltaire, à Montpellier, au moment où s’élaborait son roman Le Ventilateur.

 

Un entretien avec Christine Jeanney, 23 juin 2013
Un texte/Une voix —
Blasons d’un corps masculin/Régine Detambel

C’est la voix de Régine Detambel que nous vous proposons d’écouter ce dimanche.
Si Martin le Bouillant est à l’affiche en ce moment puisqu’il vient de paraître, c’est à propos de Blasons d’un corps masculin qu’elle a bien voulu répondre à nos trois questions :

Quelle est la phrase/anecdote/situation qui déclenche l’écriture de Blasons d’un corps masculin ?
Dans les années 90, qui ont vu l’écriture des Blasons, j’étais attentive à ce que ma myopie extrême pouvait entraîner comme vision monstrueusement créative du monde et de l’amour. Dans l’intimité, il suffisait que je dépose mes lunettes sur la table de chevet pour que le corps de l’autre ne soit plus que puzzle. Du coup, les Blasons de Clément Marot, ceux de Pascal Quignard, m’ont aidée à mettre en forme l’image d’un homme.
Jusque-là, les blasons littéraires n’étaient que féminins, regards masculins salaces et goguenards, jetés sur une femme dépecée, morcelée… Je m’y suis livrée, à mon tour, non pour découper et disséquer l’autre, comme cela a été dit souvent, mais tout simplement pour rendre sensible ma vision intime de grande myope.
Les myopes profonds ne voient pas les corps comme un tout, ou bien ils en rendent compte par la peau, la caresse, ce qui est venu ensuite dans mon écriture, tout naturellement (Petit éloge de la peau), et puis par la voix (Opéra sérieux).

Si Blasons d’un corps masculin était une personne ou un personnage, qui serait-il ?
L’homme qui partageait ma vie dans les années 90, mais dans un portrait gravement mâtiné de réminiscences littéraires !

Quel passage/mot/extrait de Blasons d’un corps masculin vous tient le plus à cœur et pourquoi ?
Le passage sur les dents, les dents du garçon comme une collection de pierres.
« Ses dents étaient des tueuses. Des choses vivantes s’y dissolvaient. Des choses mortes y remuaient. Ses dents n’étaient pas blanches, mais usées, de la pâleur jaune de l’ivoire et de l’os. La pulpe de ses gencives, rose, rougissait quand la brosse, la croûte du pain ou encore le mouvement de ses dents à elle, quand elle l’embrassait en le rongeant, faisaient venir le sang. »
À cette époque, je cherchais à construire des images inouïes, et j’ai lu Roger Caillois, son essai sur le mimétisme, ses poèmes en prose sur les pierres (L’écriture des pierres). Il m’a semblé alors qu’il y avait beaucoup à gagner dans le fait d’écrire le corps humain avec un lexique géologique ou purement chimique… J’avais vraiment l’impression de renouveler quelque chose !

Cette interview et beaucoup d'autres sont téléchargeables sur le site de publie.net.