Essais

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Petit éloge de la peau
Régine Detambel
Petit éloge de la peau
Gallimard / "Folio 2 €" (n° 4482)

Date de parution : 2007
ISBN : 9782070340859
Format : 10,8 x 17,8 cm
144 pages

2 €
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Dit par l'auteur
Présentation Presse Nota Bene

Description

La peau est notre interface entre le dehors et le dedans. De tous les organes des sens, c’est le plus vital. On peut vivre aveugle ou sourd, mais sans l’intégrité de la peau on ne survit pas. À l’intersection du moi et de l’autre, elle est un lieu d’échanges infinis avec le monde extérieur. Tout à la fois fragile comme un voile et solide comme une muraille, elle rougit ou frisonne. Peau à jouissances, elle est aimée et caressée, par la mère, par l’amant, elle nous édifie, et nous donne la confiance en nous. On est bien dans sa peau. Peau à souffrances, elle dit, dans sa nudité, tout le dépouillement de l’être humain et sa faiblesse. Masquée, tatouée, peinte, parfumée ou maquillée, elle porte inlassablement des messages et des codes à voir ou à toucher. Blanche, noire, métissée, nous avons tous la même peau : une sublime enveloppe qui, à force, se ride et vieillit. Mais on tient à sa peau.

Il est encore des sociétés où la peau humaine tient lieu de littérature. Elle est alors papier, qu’on orne de signes, peau-parchemin. Et, sans doute, les livres que nous écrivons, et que perpétuent les bibliothèques, sont ce même discours à fleur de peau, même s’il semble détaché cette fois du corps de l’auteur.
Depuis Caïn, qui porta au front une tache d’infamie, jusqu’à Antonin Artaud, brûlant et trouant le papier pour lui faire rendre gorge ; depuis Gustave Flaubert, hanté par le personnage du lépreux, jusqu’à La Peau de chagrin d’Honoré de Balzac ; depuis le supplice chinois du dépècement, minutieusement décrit par Octave Mirbeau, jusqu’aux écorchures de l’enfance chères au Nabokov de Lolita ; depuis les tatouages de Tanizaki jusqu’à l’expérience de la caresse infinie des femmes maories, que rapporte Segalen ; depuis les rides de la grand-mère de Marcel Proust jusqu’au célèbre paradoxe de Paul Valéry : "Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est sa peau" ; depuis le papier porte-voix du philosophe Derrida jusqu’aux poèmes de Bernard Noël ; depuis La Princesse au petit pois d’Andersen jusqu’aux journaux de l’américaine Sylvia Plath en passant par La Démangeaison de Lorette Nobécourt, tous les écrivains sont des écorchés vifs, qui rapportent inlassablement que l’aventure humaine est affaire d’épiderme.

Mais la peau se prête également aux images : du retable d’Issenheim à Francis Bacon et Lucio Fontana, en passant par le plafond de la Sixtine, Bonnard, Beuys, et les films de Masamura, elle est aussi l’obsession des plasticiens ou des cinéastes…

 


Hubert Prolongeau, Muze, été 2014
Ce que toucher veut dire
Des questions posées à R. Detambel par Hubert Prolongeau au sujet de la peau en littérature.


Sandrine Fillipetti, Le Magazine Littéraire n°461, février 2007

Tout Folio tout beau
Il est de courts opus inoubliables, tout en pureté, d'une fragile somptuosité. Les cinq Petits éloges inédits, publiés par "Folio 2 euros" à l'occasion de ses cinq ans d'existence, sont de ces oeuvres-là. On y cherche en vain la glose stérile, la facilité dérisoire. Explorant toutes les métamorphoses de la peau, Régine Detambel donne le ton : "Écrire, c'est seulement le sentiment et la volonté de sécréter, à force de matins, un squelette externe, comme ces crustacés imprégnés de chitine et caparaçonnés de plaques dorsales et ventrales." Portée par une écriture très travaillée, elle bâtit un ensemble de réflexions où la subtilité le dispute au raffinement. Abordant respectivement la figure d'un grand-père solitaire, la mémoire nostalgique de l'Afrique (Égypte, Numidie et Algérie), l'excès et le temps présent, les autres récits, signés par Richard Millet, Boualem Sansal, Caryl Férey et Jean-Marie Laclavetine, sont de la même veine : étonnants. Des panégyristes qui méritent... tous les éloges.

 


Sean James Rose, Libération, 6 janvier 2007
Pure caresse
Régine Detambel est kinésithérapeute de formation, et surtout écrivain. Mais de ce contact avec la peau des autres elle ne peut se passer. L'auteure, née en Moselle en 1963, ne nous entraîne pas, cette fois, dans une intrigue romanesque, elle épouse plutôt une écriture souple, quasiment fragmentaire, comme dans Graveurs d'enfance, un joli texte sur la trousse de l'écolier. La parole est murmurée, intime : "L'épaisseur de la chair entre toi et moi n'est pas un obstacle entre nous mais moyen de communication." Elle invite le lecteur à se promener à travers des pensées personnelles, des anecdotes littéraires et artistiques : le tatouage chez Tanizaki, l'urticaire de Gide, le martyre de saint Barthélemy représenté par Michel-Ange avec son manteau de peau et l'autoportrait du peintre dans ses replis. Régine Detambel fait également part de réflexions philosophiques sur le "moi-peau" avec Didier Anzieu et François Dagognet. Avec Sartre, elle évoque le désir qui dévêt le corps de ses mouvements et veut s'incarner dans l'autre. Rien de tranché dans ce petit éloge, la pensée y est pure caresse.Ce texte inaugure, avec d'autres, de Jean-Marie Laclavetine, Caryl Férey, Boualem Sansal, une nouvelle collection.

 

 

Pierre Ménard propose un atelier d'écriture inspiré de Petit éloge de la peau, sur son site LIMINAIRE.

Séance 187
Proposition d’écriture : Faire l’éloge d’un sens, d’une partie du corps humain, brèves variations et fragments mêlés de témoignages médicaux, d’anecdotes littéraires, artistiques ou historiques, de souvenirs personnels, de dictons, de citations, d’aphorismes, de réflexions poétiques saisissant les mystères du corps humain dans le contexte singulier de sa sensualité.

Petit éloge de la peau, Régine Detambel, Éditions Gallimard, Collection Folio, 2007.

Présentation du texte : « La peau est notre interface entre le dehors et le dedans, écrit Régine Detambel. De tous les organes des sens, c’est le plus vital. Car on peut vivre aveugle, sourd, privé du goût et de l’odorat mais, sans l’intégrité de la peau, on ne survit pas. »
Telle une joaillière attentionnée, Régine Detambel a recueilli des textes et des citations concernant ce tissu essentiel à notre vie. Son œuvre avait déjà exploré les os de notre corps dans La ligne âpre, les stigmates de surface dans Blasons d’un corps enfantin, la sensualité dans ses poèmes d’Icônes ou d’Émulsions, la peau comme écritoire dans Pandémonium où une mère écrit sur la peau de son fils les mots d’amour qu’elle envoie à son amant qui lui répond de la même manière.
Régine Detambel nous révèle dans cet Éloge mille facettes : les mues, les Nus et crus, les taches et les tabous, la Peauésie… et ses recherches sur la peau en littérature nous renvoient à Huysmans, Valéry, Flaubert, Kafka, Segalen…
« Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est sa peau », écrivait Valéry.

Extrait
« Qu’on pense seulement quelle activité vigoureuse, sinon violente, il fallait déployer autrefois pour marquer cette surface physique qu’est la peau d’un animal. Il fallait la briser, la malmener, la blesser pour ainsi dire, avec un instrument particulièrement pointu. L’écrivain attendait au-dessus d’un macchabée de bestiau que la visible enfin se libère. Et tout projet d’effacement impliquait qu’on malmenât plus encore la surface : les scribes médiévaux, dans leur effort pour effacer les parchemins, devaient recourir aux pierres ponces et autres grattoirs. L’écriture représentait donc toujours un exercice physique éprouvant - écorchant forcément la surface sur laquelle il se pratiquait. Ecrire procédait d’une chirurgie invasie. L’écrivain était un bon boucher.

J’écris à l’écran, je n’ai plus besoin de toucher pour sentir, j’effleure seulement. Mon écrit est de la graine de traces. Il est eau. L’écriture aujourd’hui, moderne poétique de la peau, n’écorche plus le papier. Fi des parois scarifiées. Elle se tient loin du manuscrit, du parchemin, de cette peau de veau mort-né, encore sanguinolente, dont le vélin tira sa palpitante origine. Elle n’est plus une écriture mordeuse de chair, qui tatoue le texte sur la peau des livres - et c’est pourquoi d’ailleurs elle se mémorise si mal.
Elle dit qu’il n’est plus nécessaire de faire saigner la peau pour que l’écriture suinte vive, elle procède virtuellement, elle s’inscrit à l’écran liquide.
L’écriture est bain. »